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5- 20/06/2020 A Béganne, dans le Morbihan (56) plus de 1 000 habitant·e·s ont participé au financement de Begawatts, parc de 4 éoliennes, et en maîtrisent l’exploitation. En 2014, c’était une première en France ! (investissement total 12 millions d’euros – production 18 000 MWh / an soit la consommation électrique annuelle de 6 205 personnes (hors chauffage et eau chaude sanitaire) ©EnergiePartagée

La citoyenneté énergétique en action

En contrepoint d’un système de production électrique centralisé, des initiatives citoyennes fleurissent sur tout le territoire. Depuis une quinzaine d’années, des coopératives à la gouvernance démocratique[1] prouvent qu’avec un peu de pugnacité, un groupe de profanes est capable de relever le défi technico-économique de construire un parc solaire, un champ d’éoliennes, une unité de méthanisation, un réseau bois énergie. Plus d’une centaine d’équipements de ce type ont été développés avec le soutien d’ Energie Partagée, mouvement fédérateur des citoyens et des collectivités engagés dans la promotion d’installations d’énergie renouvelable par et pour les territoires.  Fondée en 2010, Energie Partagée est l’émanation de projets pionniers. Son rayon d’action national lui offre une vue générale sur l’empowerment des éco-citoyens. Et c’est depuis cet observatoire unique qu’Arno Foulon, animateur national, coordinateur des réseaux régionaux, répond aux questions de selfpower-community.

Selon vous, quelles sont les motivations des porteurs de projets ?

« Décider, à son échelle, de son mode de production d’énergie »Arno Foulon, animateur national, coordinateur des réseaux régionaux chez Energie Partagée ©EnergiePartagée

Arno Foulon : Les raisons de s’engager dans une aventure collective sont multiples. Ici, des communautés se sont créées pour s’opposer aux gaz de schiste, là elles étaient vent debout contre un grand projet éolien lancé sans consultation. Ailleurs, c’est à la suite d’une conférence qu’un petit groupe a décidé de reprendre la main sur la production d’énergie. Et puis les motivations évoluent en cours de route. Une fois qu’un collectif a eu gain de cause contre un programme, il peut décider de concevoir son propre projet, plus adapté au patrimoine local. Je pense par exemple à la transformation de moulins en sites hydroélectriques ou à la création d’une centrale photovoltaïque sur une décharge publique. Les groupes rassemblent des sympathisants de droite comme de gauche. Certains associent les élus dès le départ, d’autres pas.  Malgré cette hétérogénéité, tous se retrouvent autour de la même volonté de décider, à son échelle, de son mode de production d’énergie. Ils sont convaincus de la nécessité d’arrêter un système qui débouche sur une impasse environnementale. En apportant leur pierre à l’édifice de la transition énergétique, ils entendent peser positivement sur les choix d’avenir,.

Comment se crée un groupe ?

AF : L’aventure des coopératives est fondée sur la prise de conscience des limites des modèles énergétiques actuels, sur la solidarité et la proximité. Il existe deux grandes manières de fonder des groupes, partir d’un noyau dur, d’un entre-soi associatif, militant, politique. Au fur et à mesure de l’avancée du projet, les initiateurs chercheront à rallier des volontaires. L’autre démarche consiste à élaborer un projet et à organiser des réunions publiques pour le présenter et convaincre les habitants. Au final, les deux approches se rejoignent et sont aussi efficaces. Les groupes comptent en moyenne 150 membres mais certaines initiatives réunissent jusqu’au millier d’investisseurs indépendants.

Energie Partagée c’est 135 unités de production d’énergie renouvelable installées sur toute la France – données 2020. ©energiepartagée

Comment s’organise la montée en puissance du groupe ?

AF : Les choses ont bien changé en dix ans. A cette époque, les pionniers n’avaient ni soutien ni modèle et ne comptaient que sur leurs propres ressources pour franchir les obstacles. Aujourd’hui, en tant que tête de réseau, Energie Partagée capitalise les expériences et tire les enseignements de toutes les initiatives du terrain. Pour construire et transmettre des savoirs « sur mesure », nous disposons d’une infrastructure qui propose un accompagnement national et régional et une pédagogie autour de l’éducation à l’énergie.

Nos modules de formation visent à donner toutes les cartes aux acteurs locaux en matière de communication, de dynamique de groupe, de structuration juridique, de vie du sociétariat, de l’actionnariat, de mécanisme de financement, de partenariats avec les collectivités et les grandes entreprises, de concertation, de régénération des équipes… La gestation des projets peut être longue, un à trois ans voire plus. Et une fois le projet concrétisé, il faut rester vigilant car le cap de la première victoire est souvent suivi d’un passage à vide. Il est donc important de maîtriser toutes les contraintes de l’exploitation d’un équipement et de s’inscrire dans une stratégie de développement. Pour aider les équipes, nous proposons des bilans de compétences collectives avec un recensement des compétences nécessaires selon le degré d’aboutissement du projet.

Ces enseignements permettent aux groupes de tirer le meilleur de l’intelligence collective et d’éviter l’épuisement. Beaucoup de nos supports sont accessibles en ligne ce qui démultiplient leur impact. Sur notre plateforme on retrouve aussi les textes fondateurs comme la charte qui rappelle les valeurs écologiques ainsi que notre conception de l’économie, du social, de la gouvernance démocratique, locale, participative et autonome. Les fonctionnalités et les services en ligne ne dispensent pas des relations « in real life », d’abord parce que la fracture numérique est loin d’être résorbée partout en France, ensuite parce que les volontaires apprécient toujours les réunions physiques avec les réseaux régionaux et leurs coopératives locales.

Qu’avez-vous appris sur les collectifs ?

 AF : La composition de nos collectifs ne reflète pas la diversité de la société. Nous constatons certains biais comme la surreprésentation des diplômés, étudiants, jeunes retraités, actifs supérieurs. Dans les rangs des volontaires, nous comptons par exemple peu de personnes précaires et nous réfléchissons à des stratégies d’ouverture vers ces publics.

Nous avons aussi étudié les caractéristiques du leadership. Au sein nos collectifs, le chef n’est pas celui dont la personnalité est la plus charismatique – bien que l’on retrouve encore des schémas de domination masculine – Le lead peut être tenu par une ou plusieurs personnes hyper compétentes, ou particulièrement enthousiastes. La nature du leadership est à la fois plurielle et variable dans le sens où il faut avancer sur plein de chantiers en même temps. Cette évolution collective est souvent spontanée car le projet émane rarement d’un individu isolé. Comme je vous l’ai dit, c’est souvent le résultat de discussions, de débats suite à des projections de films. Je pense notamment aux séances organisées autour des documentaires Demain et Après-Demain[2] qui, au passage, font référence à plusieurs reprises aux initiatives des membres d’Energie Partagée

L’impact des projets
La centaine d’initiatives que nous suivons sur tout le territoire produisent 1 000 GWh à l’année. L’ensemble de ces infrastructures représente un investissement global de 262 M€. Plus de la moitié, 66% proviennent de particuliers. En 2020, le mouvement Energie Partagée recense 22 000 personnes ayant investi 30 M€. La majeure partie de ces fonds (24 M€ soit plus de 80%) proviennent de 10 000 particuliers résidant dans le département d’implantation du site ou dans les départements limitrophes.
Les retombées financières des équipements ont été analysés finement. Le retour net sur investissement pour le territoire est de l’ordre de 2,5€ pour 1€ soit 100 M € qui se répartissent en salaires et achats de prestations, en montants de loyers pour les propriétaires des sites d’implantation, en revenus directs, en impôts et taxes locales liés à l’occupation des lieux et du réseau électrique. L’ensemble des retombées locales est estimé à 100 M € en 2019.
Petite précision : tous les investisseurs ont des attentes en matière de rentabilité, de l’ordre de 4% sur un horizon long (dizaine d’année) correspondant à une un placement financier patient, éthique et durable.
En 2011, avec des spécialistes des énergies renouvelables et de la finance éthique, Energie Partagée a créé un outil d’investissement. Il contribue au financement de 135 projets à hauteur de 23 M€ – données 2020.

Comment appréciez-vous l’impact social et l’empowerment des participants ?

AF : Dans l’étude menée sur l’impact social des investissements citoyens, la question de l’empowerment est centrale. Selon une première enquête[3], les membres des coopératives apprécient l’acquisition d’une expertise dans des domaines aussi variés que le juridique, la communication, la gestion de projet, l’économie et la finance, la technique, le savoir être et un savoir vivre dans le groupe. Ils en retirent un sentiment de fierté et la satisfaction d’être partie prenante d’une dynamique collective.

Les partenariats instaurés avec les collectivités débouchent sur la création d’un entreprenariat de territoire. Il s’agit d’une nouvelle forme de démocratie directe, de citoyenneté active, concrète, locale “, porteuse d’espoir pour la population. Cette collaboration inhabituelle donne aux acteurs le sentiment d’habiter une commune plus ouverte, plus participative.

Quant à la maîtrise des arcanes de la production et de la distribution énergétiques, elle aiguise le regard critique des membres. Ils interrogent la centralisation du système français, le fonctionnement des grandes entreprises et le coût pour la planète de leur recherche de lucrativité. Ces questions sont débattues lors de nos assemblées et sont aussi traitées sur notre plateforme. Il en résulte des prises de conscience et des niveaux de compréhension plus profonds qui confortent les engagements individuels et collectifs. Nous aimerions approfondir ces différents points.

Votre mouvement a des ambitions sociétales, concrètement, quelles évolutions espérez-vous ?

AF : La transformation de la société est l’horizon de notre organisation collective. Nous voulons peser sur le cadre légal français et européens en mettant en avant les communautés d’énergie. Pour nous, ces collectifs sont le moyen le plus sûr de réussir le défi de la transition énergétique car c’est par eux non seulement que les territoires seront d’accord pour accueillir de plus en plus d’installations de production d’énergie renouvelable mais c’est encore grâce à eux que nous réduirons les consommations d’énergie. Nous ne voulons pas laisser ces grands objectifs à nos seuls champions industriels, ni au marché. Nous avons la conviction que ce changement ne se fera pas sans les citoyens ; une position que soutient l’Agence de la transition écologique (ADEME). Pour aller plus loin, nous menons un plaidoyer avec les réseaux des collectivités locales auprès des ministères français et européens afin de libérer les énergies locales !

Enfin, nous pensons que l’action citoyenne que nous fédérons et la culture coopérative que nous diffusons autour de la réappropriation des biens communs peuvent inspirer d’autres secteurs comme l’alimentation, l’eau, les déchets…

Décryptage des différentes formes d’empowerment collectif rencontrées au sein d’Energie Partagée

Les projets locaux recensés par Energie Partagée sont motivés par le désir de produire localement une énergie renouvelable. Les acteurs, confrontés à une offre nationale qui ne répond pas à leurs attentes, démontrent ainsi qu’une autre voie est possible. Pour ce faire, ils préfèrent créer leur propre unité de production plutôt qu’organiser une résistance et une opposition politiques – ce qui n’empêche pas leur démarche d’être politique dans la mesure où l’Etat régule les tarifs de l’électricité et programme la transition énergétique. Engagés dans une démarche d’empowerment, les membres d’Energie Partagée proposent un changement de paradigme fondé sur l’éco-responsabilité. Ils s’investissent pour que le système actuel, caractérisé par une production d’énergie centralisée et dominée par le privé lucratif, évolue vers une énergie citoyenne de proximité.

Le mouvement concentre ses ressources autour des projets d’installations d’énergie renouvelable recensés sur une carte de France interactive .

Une première analyse de la dynamique impulsée par Energie partagée a permis de repérer les différents niveaux d’empowerment collectif à savoir : communautaire collaboratif-productif et sociétal.      

L’empowerment communautaire se retrouve à travers les sentiments de confiance, de solidarité qui animent les membres. Ils sont fiers d’appartenir à un même réseau, d’en être les co-fondateurs et les co-propriétaires. Ils agissent pour améliorer la qualité de leur vie et le développement local.  Ils aspirent à un même idéal et ont la force de le rendre tangible.          
Dans les faits cela se traduit par un regroupement affinitaire, des rencontres régulières, la transmission fluide d’information, la mise en débat et la concertation systématiques, les prises de décisions où chacun a son mot à dire. Dans cette gouvernance démocratique, le leadership peut être pluriel et évolutif ce qui favorise l’agilité et la proactivité de la communauté.

L’empowerment collaboratif-productif qui correspond au partage de connaissances et à l’engagement dans des actions coordonnées se retrouve dans le travail des équipes. Les missions remplies par les volontaires requièrent des compétences spécifiques et le soutien des précurseurs. Tous les efforts convergent vers la création et le développement d’une unité de production d’énergie renouvelable. Fait important, les moyens utilisés pour atteindre ce but comptent autant que l’installation elle-même. C’est pourquoi ces projets trouvent leur pleine expression dans l’entreprise coopérative, forme d’économie sociale et solidaire au service du bien commun, qui s’appuie sur un maillage des ressources internes et des synergies locales.          

En réussissant à pénétrer sur le terrain complexe de l’énergie et à se faire une place dans le milieu exclusif des producteurs, les collectifs pionniers ont su dépasser un à un les obstacles rencontrés sur leur route. Ces premières expériences ont permis de constituer un capital communautaire qui profitent aux nouveaux venus. Il réunit les témoignages des pionniers, les échanges de pratiques au sein de groupe d’entraide, les formations qui apportent une maîtrise des questions juridique, financière, technique. Ce capital a grandi et a donné naissance à deux structures complémentaires, la plateforme Energie Partagée et le fonds d’investissement. A leur tour, ces deux leviers augmentent la capacité communautaire et son influence sur le développement local.

Enfin les allers-retours réguliers entre le niveau local et national ainsi que les participations aux réflexions globales du mouvement, confortent la conscience collective dans son intuition première, celle de préfigurer un modèle de développement alternatif en phase avec un monde en transition. (empowerment sociétal*)

*L’empowerment sociétal caractérise l’influence d’un groupe sur un système socio-politique

Fiche de présentation
Nom de la structure :   Energie Partagée
Grande cause défendue : soutien et accompagnement à l’installation d’unités de production d’énergie renouvelable créées à l’initiative des citoyens
Date de création :    2010  
Adresse :         Énergie Partagée Association, 16-18 Quai de Loire, 75019 Paris – 01 80 18 92 21 https://energie-partagee.org/contact/
Personne à contacter : https://energie-partagee.org/nous-decouvrir/qui-sommes-nous/lequipe/
Particularités : Cette fédération qui émane de projets pionniers regroupe plus d’une centaine de collectifs de citoyens ayant créé des unités de production sur tout le territoire. Le mouvement dispose d’un bureau de salariés qui structure les échanges, promeut les bonnes pratiques, organise les formations, apporte un soutien pour toutes questions juridique, financière, technique et assure un lien entre porteurs de projets et communautés expérimentées.
Missions : Se positionne comme une solution au défi le défi de la transition énergétique en apportant une démonstration en actes que l’on peut jouer la carte d’une énergie citoyenne de proximité. Ce mouvement entend inspirer d’autres secteurs comme l’alimentation, l’eau, les déchets…

Marie-Georges Fayn


[1] sociétés citoyennes d’intermédiation : constituées en coopératives (SCIC) ou en SAS où une personne égale une voix

[2] Demain, documentaire français réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent,(2015) – et Après-Demain, documentaire français réalisé par Cyril Dion et Laure Noualhat (2018)

[3] Etude réalisée par Coopawatt, en 2019

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