10 – 25/10/2020 L’autonomie numérique par le logiciel libre et l’éducation populaire
« Si on ne veut pas être pisté, il faut accepter de faire des efforts… efforts qui devraient être encouragés par un soutien institutionnel et ce dès l’école. Mais c’est loin d’être le cas ! Le formatage commence très tôt, en petite section où les enfants sont initiés à l’informatique sur des logiciels payants ! Ceux-là même qui vous surveillent et suivent à la trace sur internet, exploitent et manipulent vos données personnelles, vous tendent des pièges commerciaux et vous enferment dans une dépendance numérique. Pourtant il existe une offre importante de jeux éducatifs et de bureautique libre et gratuite. Pourquoi ne pas recourir à cette alternative ? A cause de l’habitude d’usage et de la méconnaissance des enjeux.» dénonce Angie, chargée des relations publiques à Framasoft.
Ce réseau d’éducation populaire aux enjeux numériques a été créé en 2001 par Alexis Kauffmann, Paul Lunetta et Georges Silva, enseignants de français et de mathématiques dans un collège de Bobigny (93). Ensemble, ils ont décidé de contrer les géants du web en proposant des logiciels libres et de déconstruire nos habitudes en faisant œuvre de pédagogie. Ils ont voulu pallier l’absence de valorisation des logiciels libres par les institutions en créant une plateforme de ressources « porte d’entrée sur le monde libre, ouverte à tous ». Aujourd’hui, les fondateurs ont quitté l’aventure, laissant à leurs émules, 35 membres dont 9 salariés et 400 partenaires, tous cooptés, le soin de poursuivre leur œuvre singulière. Angie résume ainsi la philosophie de Framasoft « pas de croissance, pas de profit, mais des valeurs, la liberté, la transparence, le partage, la confiance, l’échange, la coopération ET DONC la gratuité totale sans publicité et pour le financement, le recours quasi exclusif au don ». Depuis près de 20 ans, Framasoft maintient le cap « Ne pas laisser faire, ne pas subir et pour cela changer le monde un octet à la fois[1]». En contrepoint des monopoles planétaires, le réseau œuvre à l’avènement d’un monde numérique émancipateur et décentralisé.
La transformation du monde numérique passe par la création, la promotion et la diffusion de logiciels libres ; le meilleur exemple de cet esprit collaboratif reste Wikipédia qui croise les contributions individuelles et la dynamique collective. Parmi les outils on retiendra l’annuaire qui recense 1 150 logiciels, ressources et initiatives libres, plus de 50 projets conduits en interne, l’élaboration d’une soixantaine de tutoriels, la mise en place d’un collectif d’hébergeurs « CHATONS » qui réunit 70 structures et propose des services en ligne sans exploitation de données, un forum construit autour des savoirs que chacun peut apporter à la communauté et qui totalise sur les douze derniers mois plus de 56 000 messages et 1 200 contributeurs.
Copyleft versus Copyright
Les licences copyleft sont inspirées par la primauté du collectif sur l’individu et celle des liens humains sur le calcul d’intérêt. Les logiciels libres peuvent être utilisés, étudiés, copiés, modifiés et redistribués sans restriction grâce à un accès ouvert à son code source selon les principes du Copyleft. Cela signifie que l’auteur autorise chacun à faire évoluer son travail sans jamais imposer de restriction du droit à la copie, à l’étude, ou à de nouvelles évolutions.
A l’opposé, le Copyright garantit la propriété et les prérogatives exclusives d’une personne physique ou morale sur une œuvre de l’esprit originale
Côté théorique, Framasoft conçoit internet comme un bien commun et ne reconnaît pas aux GAFAM (Google Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) le droit de dicter comment l’utiliser. C’est pourquoi le réseau défend le principe des logiciels libres, de la culture libre et d’une économie non marchande. Sur sa plateforme, le réseau a ouvert une maison d’édition sans droit d’auteur où chaque réalisation est considérée comme un bien commun. Il diffuse aussi des conférences et a réalisé un MOOC… Au cœur de son discours, les dangers de la domination des GAFAM
La menace de « colonialité numérique » par les GAFAM
Dans le monde des logiciels privateurs[2], Framasoft identifie quatre formes de domination :
La domination technique qui exploite ses données. Ce dernier se retrouve prisonnier des procédures contraignantes et intrusives imposées par l’opérateur et ne se sent pas prêt à redoubler d’énergie pour le quitter et entamer un nouveau parcours avec un concurrent, qui tentera de le retenir avec les mêmes procédés.
La domination économique qui mène à la domination politique.
La concentration des acteurs a donné naissance aux plus grosses capitalisations boursières de l’histoire, supérieures au PIB de l’Allemagne . La puissance de ces entreprise qui interviennent en sous-main dans la marche du monde pose un problème à la démocratie (cf le scandale du Cambridge Analytica[3]).
La domination culturelle. Les outils des GAFAM banalisent le mode de vie américain et leur conception du monde. Ainsi, en autorisant ou pas la publication de tels ou tels contenus, ils finissent par imposer les cadres culturels et les normes sociales en vigueur aux USA. Insidieusement, les stratégies des GAFAM modèlent les comportements des internautes.
L’alerte sur les dangers du « capitalisme de surveillance » véhiculé par les géants du web et leurs services est au cœur des campagnes de communication de Framasoft ; la plus médiatique demeure « Dégooglisons internet » menée en 2014. L’opération a donné naissance à une palette d’outils libres (applications d’agenda, d’organisation, de supports de travail collectif…) mais la plateforme n’ayant pas vocation à devenir le “Google des services libres en ligne”, elle axe désormais sa stratégie sur le soutien aux Collectifs d’hébergeurs alternatifs, transparents, ouverts, neutres et solidaires. Ils abritent des outils pour les rendre accessibles au plus grand nombre, selon une logique de décentralisation et d’archipelisation ; tout le contraire des serveurs géants et des clouds…
800 000 utilisateurs et un budget de 500 000€
La démarche de Framasoft convainc : chaque mois, 800 000 utilisateurs de logiciels libres en ligne proposés par Framasoft se connectent à la plateforme – un chiffre qui a même été multiplié par 20 pendant le confinement ! Ces adeptes du « libre » plébiscitent : framatalk pour les visioconférences, Framapad éditeur de texte collaboratif, Framaforms éditeur de formulaire, Framadate pour gérer ses rendez-vous et sondages et Framemo pour partager ses idées.
L’attrait pour la gratuité n’empêche pas certains d’entre eux de participer à l’œuvre collective en faisant des dons. 10 500 particuliers versent chaque année en moyenne entre 48€ et 98,70€ à Framasoft pour un montant total de 500 000€.
Framasoft revoit aussi ses partenariats. Déçu de constater que le ministère de l’éducation avait contracté avec les géants du web et n’avait pas retenu de logiciels libres, Framasoft a pris acte. Refusant d’être instrumentalisés, ses représentants ont décidé de ne plus participer aux réunions rue de Grenelle (Paris). Le réseau préfère renforcer ses liens avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire et de l’éducation populaire et va les aider à réaligner leurs outils informatiques avec les valeurs qu’ils défendent. C’est ainsi que Framasoft entend poursuivre sa vocation de promoteur de la libre culture, de l’autonomie… du bien vivre ensemble.
Décryptage des différentes formes d’empowerment collectif rencontrées au sein de Framasoft
Framasoft suit les 4 étapes processus d’empowerment. Sa genèse est motivée par une résistance à une puissance qui impose ses codes et son modèle économique via le numérique. Un groupe d’enseignants conscients de la menace que représentent les géants du web a mobilisé des bénévoles pour reprendre de contrôle d’internet. Ils partagent la même volonté d’émancipation, de partage, de la coopération et de la liberté (empowerment communautaire). S’appuyant sur l’intelligence collective des membres et sympathisants, Framasoft a défini une stratégie claire selon deux axes forts, la production d’alternatives grâce à une expertise technique et la sensibilisation du public par l’éducation populaire aux enjeux du numérique. Framasoft a créé une palette de ressources libres et gratuites, notamment des logiciels téléchargeables avec leurs codes, gérés par des bénévoles (empowerment collaboratif et productif). Parallèlement le mouvement se positionne en faveur d’une transformation citoyenne de l’environnement numérique avec reprise de contrôle d’internet. Avec pédagogie, il défend les principes démocratiques et républicains dans le monde numérique : la liberté de choix, la protection de l’intimité, l’égalité d’accès… (empowerment sociétal).
Fiche de présentation
Nom de la structure : Framasoft
Grande cause défendue : la promotion de l’émancipation et des libertés numériques à l’initiative des citoyens.
Date de création : 2001
Adresse : c/o Locaux Motiv
10 bis, rue Jangot, 69007 LYON https://framasoft.org/fr/
Personne à contacter : https://contact.framasoft.org
Particularités : Ce mouvement d’éducation populaire a réuni et développé des centaines de logiciels et de contenus culturels libres, classés, testés, véritables alternatives aux logiciels payants – tous sont en accès libre.
Missions : mouvement libriste pour que l’humain reste en maîtrise et en contrôle de l’outil numérique
Marie-Georges Fayn
[1] Change the world one byte at a time
[2] Un logiciel privateur ne permet pas d’exercer simultanément les quatre libertés logicielles que sont l’exécution du logiciel pour tout type d’utilisation, l’étude de son code source (et donc l’accès à ce code source), la distribution de copies, ainsi que la modification et donc l’amélioration du code source (wikipedia)
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Scandale_Facebook-Cambridge_Analytica
Illustration « Dégooglisons internet » Affiche de la campagne ©Peha -Framasoft, 2014
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