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78- 01/08/2024 La Stratégie Nationale de Santé 2023-2033 promeut l’empowerment en tant que vecteur d’amélioration de l’équité et de la qualité de vie par l’acquisition de compétences. Dans ce processus, la littératie qui désigne la capacité à gérer les informations nécessaires à la prise de décisions éclairées, occupe une place essentielle. Cependant, l’amélioration de la santé de la population n’est pas seulement une affaire de planification. Le texte omet la dimension ascendante de l’empowerment, où les patients jouent un rôle actif et collectif dans la transformation du système de santé. Pour relever les défis actuels, l’alliance de ces deux dynamiques pourrait offrir des solutions novatrices et efficaces.

Dans le projet de la Stratégie Nationale de Santé 2023-2033*, l’empowerment est mentionné 4 fois : une fois dans le sommaire et trois fois dans le 3ème chapitre consacré aux principes d’action où il est classé en 5ème position après l’éthique, la co-construction, la prise en compte de la dimension de genre, et l’universalisme proportionné.

Projet de Stratégie Nationale de Santé 2023-2033, p10, capture d’écran

Le Ministère de la santé associe pouvoir d’agir et aptitude à assimiler l’information. Dans son document, l’empowerment est défini comme « un processus permettant aux personnes, aux organisations et aux communautés d’acquérir des compétences sur leur propre vie, afin de changer leur environnement social et politique pour améliorer l’équité et la qualité de vie ». Les auteurs posent ensuite la santé comme étant «la résultante de facteurs sociaux, environnementaux, économiques et génétiques appelés déterminants (…) un processus dans lequel l’individu et la communauté sont acteurs ». Ce qui, selon eux, nécessite « de promouvoir la santé en partant de la demande et de la satisfaction des besoins, et non plus seulement de l’offre ». Et de poursuivre : « pour qu’il y ait implication, il faut qu’il y ait transmission de toutes les informations nécessaires ». D’où, selon les signataires, l’importance de la littératie qui désigne à la fois « la motivation et les compétences des individus à accéder, comprendre, évaluer et utiliser l’information en vue de prendre des décisions concernant leur santé. » Le Ministère reconnaît cependant l’existence de nombreux obstacles : la disponibilité de l’information, l’accès physique aux services, leur qualité, leur réactivité et la difficulté à s’adapter au niveau de littératie des individus, la stigmatisation et l’inégalité entre les sexes.

Toutefois, le texte semble inachevé dans sa formulation et manquer de cohérence. Comment peut-on vouloir partir des besoins, encourager l’implication et se focaliser avant tout sur la transmission d’information ? Pourquoi ne pas privilégier plutôt l’écoute, la concertation avec les patients et la prise en considération de leurs efforts et contributions à l’amélioration du système de santé ?

Partir des besoins, élaborer des programmes ne suffiront pas à améliorer une organisation en crise, marquée par l’extension des déserts médicaux et la fermeture des services les plus essentiels comme la maternité, la chirurgie et même les urgences…

L’empowerment ne se limite pas à un transfert de données ni à une délégation de pouvoir descendante.

L’empowerment caractérise aussi un mouvement ascendant, où des groupes, décidés à ne plus subir des réalités sociales adverses, se soutiennent, mènent des actions collectives, reprennent le contrôle des ressources, affirment leurs choix, conçoivent des alternatives, interviennent sur les causes profondes des dysfonctionnements et transforment le monde (Freire, 1970 ; Peterson et Zimmerman, 2004 ; Zimmerman et al., 1995)**.

Or, le texte actuel passe sous silence les grandes évolutions à l’actif des patients et de leurs communautés. Rappelons que la démocratie en santé et la loi du 4 mars 2002 ont été inspirées par les États généraux contre le cancer organisés par la Ligue en 1988, que des médicaments de thérapie génique sont mis au point par le laboratoire Généthon de l’AFM-Téléthon. Pensons également que les autopratiques telles que l’autosurveillance glycémique, l’auto-injection ou l’auto-sondage sont adoptées par un nombre accru de personnes malades chroniques. Soulignons aussi qu’en 2020, c’est une internaute qui a identifié et nommé une nouvelle pathologie, le CovidLong***. Enfin, rappelons que l’expertise des malades est désormais reconnue comme étant complémentaire des savoirs académiques grâce au travail de collectifs comme le TRT-5 CHV (un collectif inter associatif qui réunit des associations de lutte contre le VIH-Sida, les Hépatites et les infections sexuellement transmissibles autour des enjeux de la recherche clinique…)

Les patients “empowérés” transforment le monde de la santé en créant des réseaux d’entraide, en concevant des savoirs propres, en maîtrisant les ressources, en imaginant des alternatives, en s’imposant sur le territoire de la recherche et en s’affirmant comme forces de proposition.

Pourquoi ne pas conjuguer toutes les énergies pour relever les défis en santé que les institutions seules ne parviennent pas à surmonter ; qu’il s’agisse de la désertification médicale, de l’aggravation des inégalités sociales et territoriales, du renoncement forcé aux soins, du manquement dans la prise en charge des aînés et de tant d’autres situations critiques que les malades subissent dans leur chair ?

L’empowerment, pris dans toute son ampleur, pourrait inspirer une vision audacieuse et novatrice de la santé en France où insitutions et patients organiseraient ensemble des synergies puissantes entre les deux dynamiques, ascendantes et descendantes.

Marie-Georges Fayn

*https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/projet_sns.pdf

** Calvès, A. E. (2009). «Empowerment»: généalogie d’un concept clé du discours contemporain sur le développement. Revue Tiers Monde, (4), 735-749.

Cantelli, Fabrizio. (2013) « Deux conceptions de l’empowerment ». Politique et Sociétés, vol. 32, n o 1.

Freire, P. (1970). Pedagogy of the oppressed. New York: Continuum

Friedmann J. (1992) Empowerment The Politics of Alternative Development Oxford: Blackwell.

Peterson, N. A., & Zimmerman, M. A. (2004). Beyond the individual: Toward a nomological network of organizational empowerment. American journal of community psychology, 34(1-2), 129-145

Thakre, N., & Mathew, P. (2020). Psychological empowerment, work engagement, and organizational citizenship behavior among Indian service‐sector employees. Global Business and Organizational Excellence39(4), 45-52.

Zimmerman, M. A. (1995). Psychological empowerment: Issues and illustrations. American journal of community psychology23, 581-599.

*** Elisa Perego https://selfpower-community.com/empowerment-et-covid-long-le-parcours-scientifique-dune-patiente-2/

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