Patients' contribution to knowledge, awareness and understanding of Covid Long ©MiroslavaChrienova on Pixbay
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76- 01/06/2024 En 2020, Elisa Perego, Dr en archéologie, vivait en Lombardie (Italie) où elle a contracté le SRAS-CoV-2 et assisté avec effroi à sa propagation vertigineuse. Durant le confinement et malgré ses lourds problèmes de santé, elle a échangé avec d’autres malades via Twitter/X. Elle a alors constaté avec ses pairs que le Covid pouvait durer bien plus longtemps que les deux à six semaines indiquées dans les premiers rapports et que les symptômes n’étaient pas seulement respiratoires. Pour caractériser les spécificités de sa maladie, elle a utilisé le terme #Covid long, devenant ainsi la 1ère malade à donner un nom à une maladie. Son engagement initial et les différentes étapes qui ont suivi évoquent une démarche d’empowerment individuel (1). Comment Elisa Perego a-t-elle pu transformer la personne malade vulnérable qu’elle était en 2020 en une experte sollicitée au niveau international ? Selfpower-community a mené l’enquête…

Quand avez-vous commencé à poster sur Twitter/X ?

Elisa Perego: J’ai commencé à parler du Covid sur Twitter/X avant même de tomber malade. J’étais très préoccupée par sa propagation précoce et par l’absence de réaction rapide. En ce qui concerne la persistance des maux, j’ai trouvé une explication et il s’est avéré qu’elle était correcte. Le Covid ne durait pas deux à six semaines comme l’indiquaient les premiers rapports, et il ne s’agissait pas seulement d’une maladie respiratoire. Bien sûr, j’étais aussi très inquiète pour ma santé. Ma saturation en oxygène chutait sans cesse alors que j’aurais dû être « rétablie ». J’ai évoqué ces symptômes et j’ai constaté qu’un grand nombre de personnes souffraient des mêmes maux.

Elisa Perego, portrait pre-Covid ©EP

Quels étaient vos sentiments à l’égard des médecins ?
EP: Au début de l’année 2020, je me trouvais dans l’épicentre de la Lombardie, en Italie. Les professionnels de la santé étaient en première ligne. Nombre d’entre eux sont décédés ou ont eux-mêmes été victimes du Long Covid. Je tiens à exprimer ma solidarité avec les professionnels de la santé qui étaient en première ligne en ces premiers jours terribles. Je pense toutefois qu’aujourd’hui, en 2024, les services de santé devraient être beaucoup mieux équipés pour faire face au Long Covid. Trop de personnes restent sans soutien médical adéquat. En 2020, on ne reconnaissait pas non plus à quel point le Covid pouvait être dangereux et « long », même chez des personnes « jeunes ». Beaucoup d’entre nous n’ont pas reçu de soins adéquats à cause de cela aussi.

Et à l’égard du système de santé?
EP: Comme je l’ai précisé, j’étais en Lombardie au début de la pandémie et cette région était le second épicentre après la Chine. Le système de santé était effondré et il est difficile d’exprimer ce que j’ai ressenti : vous comprenez que vous avez très probablement une maladie, le Covid, et vous savez qu’elle peut vous tuer. Vous savez aussi que votre système de santé est à 100 % de ses capacités, voire plus. Aucune aide ne vient. Il était très important pour moi de tweeter pour essayer de faire comprendre à quel point la situation était grave.

Était-ce important pour vous d’échanger avec des personnes confrontées aux mêmes problèmes ?
EP :
C’était très important. Cela a montré que ce que je vivais moi-même et ce que j’entendais de la part de ma communauté locale n’était pas une exception. Il est devenu évident que nous étions témoins d’une situation d’urgence massive, qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour la santé mondiale si le SRAS-CoV-2 n’était pas endigué. Aujourd’hui, plusieurs chercheurs et même l’Organisation mondiale de la santé estiment que des centaines de millions de personnes ont été touchées par le Covid Long.

Pouvez-vous parler de l’expérience collective de la maladie?
EP: Il ne s’agit que de mon expérience personnelle, elle peut ne pas s’appliquer à d’autres. J’ai ressenti de l’émotion, de l’autonomie et de l’innovation. Je l’ai vu un peu à travers les yeux du chercheur, vous voyez. Être si malade, mais aussi si libre de construire quelque chose de nouveau aux frontières extrêmes de la connaissance. Dans un cadre immersif et totalement libre d’accès, sur Twitter/X. Avec de nouvelles informations qui sortent en temps réel. Avec beaucoup de solidarité entre malades : l’envie de comprendre, d’alerter le monde, d’essayer d’épargner aux autres ce qui nous arrivait

Le fait d’être chercheuse, de connaître les subtilités du processus scientifique, a-t-il changé à votre approche de la maladie ?
EP: Oui, cela a changé. En tant que chercheur, j’ai la possibilité de comprendre les recherches menées par d’autres et de produire les miennes. Les professionnels de la santé sont généralement formés pour diagnostiquer et traiter des maladies déjà connues. En tant que chercheur, je peux acquérir de nouvelles connaissances. J’ai la possibilité d’utiliser les dernières données biomédicales pour comprendre ce qui se passe dans mon corps. Je suis en capacité de relier la science à l’expérience vécue. Je l’ai fait avec Long Covid.

Elisa Perego post de commémoration de la première année de #LongCovid – May 2021

Quelles actions avez-vous développées ?
EP: Il m’est impossible de dresser une liste complète de toutes les choses que j’ai faites en rapport avec Long Covid. Il y en a tellement ! D’une manière générale, j’ai contribué aux efforts qui ont conduit à la reconnaissance de la longue covidie au niveau mondial, à la fois en tant qu’entité pathologique et en tant que mouvement de défense et de recherche, ou j’ai codirigé ces efforts. J’ai assisté (virtuellement) à la réunion historique de l’Organisation mondiale de la santé d’août 2020, à l’issue de laquelle l’OMS a ouvertement reconnu la longue covidie. J’ai soumis des preuves en tant que patient expert aux Académies nationales des sciences, de l’ingénierie et de la médecine (NASEM) pour la définition américaine du Long Covid en 2023. Je rédige et révise des articles scientifiques. Je rédige, signe et/ou révise des livres blancs, des lettres ouvertes et des communiqués de presse. Je suis Long Covid Kids Champion pour l’organisation caritative Long Covid Kids. Je fais beaucoup de communication scientifique, par exemple sur les médias sociaux, tels que Twitter/X : ce sont des plateformes que je considère non seulement comme un lieu de communication, mais aussi comme des outils pour construire de nouvelles connaissances. C’est ainsi qu’est né Long Covid. Je donne des conférences universitaires, virtuelles bien sûr, et je m’engage auprès de la presse et des décideurs politiques. J’ai collaboré avec des chercheurs, des patients et d’autres parties prenantes sur le Covid et le Covid long. Beaucoup d’échanges, surtout dans les premiers mois de la pandémie, ont été informelles : courriels, chats, tweets, messages. Mais cela a permis de donner un coup de fouet à la connaissance, à la prise de conscience et à la compréhension de Long Covid. Un grand nombre de patients l’ont fait aussi mais leurs contributions ne sont même pas reconnues ou connues. Aujourd’hui, de grands laboratoires travaillent sur le Covid Long. Il existe des lignes directrices officielles. Bien sûr, tout ce que je fais est fortement influencé par mon état de santé. Je suis toujours très malade. Je ne peux pas faire autant que je le voudrais, mais j’essaie de faire de mon mieux.

Qu’avez-vous appris ?
EP: Pour sûr, l’affirmation de mon identité, de ma spécificité en tant que personne et patient (Agency). J’ai acquis de nouvelles compétences par exemples en termes de politique publique, d’élaboration de plaidoyer à grande échelle. Avant le Covid Long, je ne savais pas échanger avec la presse ou avec des politiciens ! Je suis devenue beaucoup plus compétente en maladies infectieuses, biomédecine et épidémiologie. Ces domaines étaient liés à mes recherches les plus récentes avant la pandémie, mais j’ai maintenant une plus grande expertise.

Quelle voie pensez-vous avoir ouvert ?
EP: L’expérience du Covid Long a montré que les patients peuvent apporter des contributions révolutionnaires à la connaissance. Ils peuvent changer la façon dont les connaissances sont construites et développer des solutions innovantes face aux immenses défis tels que la pandémie de Covid – l’une des plus grandes catastrophes sanitaires de l’histoire récente. Les patients peuvent changer la façon dont les maladies sont nommées, définies et reconnues.

Vous avez été confrontée aux dysfonctionnements du système de santé, quel regard portez-vous sur son organisation ?
EP: Je pense que nous avons vraiment besoin de systèmes de soins de santé mieux équipés pour traiter les maladies chroniques. Et nous avons besoin de systèmes de santé qui soient prêts à reconnaître les patients comme des partenaires. Je suis moi aussi atteinte d’une maladie chronique depuis avant le Covid Long. Je connais trop bien les défis à relever.

Comment poursuivez-vous votre engagement ?
EP
: J’écris des articles scientifiques et à défendre les droits des patients vivant avec le Covid Long et des personnes handicapées. Je continue à plaider en faveur de la pleine reconnaissance de Long Covid. J’ai également participé à la recherche sur les maladies infectieuses et à l’endiguement du SRAS-CoV-2. Je continue à faire beaucoup de communication scientifique. Seulement je n’y consacre pas 8h par jour ; je suis actuellement trop malade pour avoir un emploi. C’est un peu mouvementé.

Quels conseils donneriez-vous en cas de nouvelle pandémie ?
EP: Ces conseils s’adressent aux décideurs politiques et aux responsables de la santé publique. Agissez le plus tôt possible. Essayez de contenir l’agent pathogène, virus ou autre, aussi fermement que possible. Visez l’éradication et l’élimination si possible. Soyez transparents avec les données. Reconnaissez immédiatement le mode de transmission de l’agent pathogène et agissez en conséquence. Par exemple, si un virus est transmis par l’air, comme le SRAS-CoV-2, prendre des précautions contre la transmission par l’air. Être pleinement conscient que la mort n’est pas le seul résultat clinique qui compte : les effets à long terme de l’infection sur la santé sont également importants, comme dans le cas du Covid Long. Placer la vie humaine et la santé mondiale au-dessus des gains économiques et politiques à court terme.

Avec le recul, quelle est, selon vous, la priorité actuelle des systèmes de santé ?
EP: Nous avons besoin de soins de santé rapides, de haute qualité et gratuits pour tous, y compris dans les pays où la tradition des soins de santé publics est pauvre, ou dans ceux où les soins de santé publics sont en retrait. Nous sommes confrontés à un grand défi à cet égard, car les services de santé sont sous pression en raison de la propagation du SRAS-CoV-2 et des politiques d’austérité. Deuxièmement, nous avons besoin d’une bien meilleure approche des maladies chroniques, en particulier celles qui sont mal traitées dans la pratique médicale actuelle. Troisièmement, le Covid Long reste une urgence mondiale. Les systèmes de santé doivent être considérablement renforcés pour faire face à cet afflux croissant de patients.

Comment définissez-vous l’empowerment des patients ?
EP: Vous avez le droit de nommer une maladie. Vous avez le droit de définir une maladie. Vous avez le droit d’élaborer une politique. Vous avez le droit de contribuer à la définition de cas cliniques. Vous avez le droit de contribuer à l’élaboration de lignes directrices. Vous avez le droit de mener des recherches dirigées par des patients, si vous le souhaitez. Vous avez le droit de demander aux décideurs politiques de rendre cela possible. Vous avez le droit d’être soigné. Vous avez le droit de dire non si quelque chose empire votre état. Vous avez le droit d’être un partenaire égal dans vos soins. Vous avez le droit à la dignité. Vous avez le droit d’aller chez le médecin et de vous sentir libre de discuter de vos préoccupations en toute sécurité. Vous avez le droit de chercher votre maladie sur Google, de lire la littérature scientifique et d’en parler ouvertement avec votre médecin. Je sais que tout cela n’est pas une réalité pour de nombreux patients. C’est un combat permanent. L’injustice épistémique est monnaie courante en médecine. Il existe aussi des contraintes liées au temps et aux ressources. Mais il y a également des limites causées par le capacitisme (2), à la façon dont les professionnels de la santé sont formés, au manque d’autonomie dont bénéficient parfois les patients. Nous avons besoin d’un changement radical.

Décryptage
Elisa Perego a suivi toutes les étapes de l’empowerment individuel : constat de dysfonctionnements,  partage de son expérience avec d’autres patients, utilisation d’un réseau social comme un support de co-création de nouvelles connaissances, affirmation de son identité et de sa singularité, reprise de contrôle sur la maladie, gain en autonomie, en expertise, en compétences et en influence sociétale. Sa particularité est de s’être positionnée dans le champ de la recherche en adoptant une posture de scientifique pour analyser sa maladie et son traitement médical et social. Son histoire montre que les patients peuvent changer la façon dont les maladies sont nommées, définies et reconnues.

Sa profession d’archéologue et son vécu de la maladie l’ont amenée à suivre l’évolution de la santé des sociétés humaines. « La santé n’est pas une chose donnée mais façonnée par les inégalités et les choix politiques »[3]. Partant de ce constat, elle questionne l’option sanitaire qui admet l’existence d’un « Covid endémique », stratégie qu’elle considère comme étant moins exigeante et à terme plus discriminatoire que l’objectif « 0 Covid » qui vise son éradication totale comme cela a été le cas pour la variole.          
En reprenant les étapes habituelles de tout processus de recherche, à savoir l’observation, la description, l’élaboration d’hypothèse, la confrontation des expériences, l’analyse et l’interprétation, Elisa Perego a produit des connaissances originales.  Son travail s’est déroulé dans une urgence extrême. Les informations nouvelles étaient postées en temps réel.  Les membres de sa communauté exploraient les limites de la connaissance dans un cadre immersif, solidaire et totalement libre d’accès. Tous partageaient le même besoin de comprendre, d’alerter le monde pour essayer d’épargner aux autres ce qu’ils vivaient.

Elisa Perego s’est appuyée sur son savoir-faire de chercheuse. Elle a décrypté les publications scientifiques et valorisé les contributions nouvelles issues de ses propres analyses. Elle a appris à déchiffrer ses symptômes au regard des dernières données biomédicales.

Elisa Perego a construit un savoir scientifique à partir de sa propre expérience sans intermédiation. Elle a contribué à la reconnaissance de la covidie longue au niveau mondial. Son analyse des situations vécues par les malades l’a amenée à remettre en question les orientations de certaines politiques de santé. Elisa Perego poursuit son engagement en plaidant en faveur de l’intégration des patients à la conceptualisation, à l’étude et au traitement du Covid Long.



Rédaction : Elisa Perrego and Marie-Georges Fayn

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(1) L’empowerment individuel ou psychologique se présente comme un parcours initiatique qui métamorphose un individu vulnérable mais décidé à ne plus subir une situation en une personne résiliente, consciente de ses fragilités, mais en capacité de les dépasser par l’acquisition de savoirs et par l’adaptation de ses comportements.
L’empowerment psychologique est mesuré en fonction de plusieurs critères
– la prise de conscience critique d’une situation injuste, opprimante, oppressante (auto-conscience),
– la quête d’information, la capacité à construire un savoir propre, les connaissances et des compétences dont on dispose ou que l’on acquiert (auto-efficacité),
– l’accès aux ressources (épistémologiques, techniques, logistiques, financières… ),
– la capacité à prendre des décisions (auto-détermination),
– les retours et contreparties que l’on obtient du fait de cet engagement
– la volonté d’affirmer son identité, sa singularité, en toute indépendance (agency),
– la capacité à grandir à travers l’épreuve ou les difficultés (résilience)
– et dans certains cas exceptionnels, la capacité d’influencer voire de faire évoluer l’organisation du système de santé
(Ben Ayed et al., 2016, Botti et al. 2011 ; Fayn, 2019 ; Michallet et al., 2014 ; Zimmerman, 1995 )

(2) Capacitism: a normative value system that makes the so-called “valid” person, without disability, the social norm.

[3]  World Socialist Web Site https://www.wsws.org/fr/articles/2022/10/13/inte-o13.html

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