La revue de littérature porte sur l’analyse des échelles de mesure de l’empowerment collectif
Longtemps, les études sur l’empowerment se sont concentrées sur sa dimension individuelle et psychologique. Assimilé au développement personnel, l’empowerment est alors appréhendé comme une fin en soi. Mais il peut aussi être étudié comme le point de départ d’une aventure collective. Ce positionnement rejoint la théorie princeps de Freire (1970) qui définit l’empowerment comme un processus de conscientisation et de libération des opprimés par la pratique émancipatrice de l’éducation. Dans ce cheminement vers la reprise en main de son destin, les pédagogues tiennent un rôle central[1]. Avec les populations vulnérables, ils analysent les situations d’injustice et les contextes sociaux dans lesquels elles s’inscrivent. Cette compréhension critique des relations de pouvoir conduit le groupe à mener des actions pour rendre la société plus démocratique et solidaire. Les sciences sociales reconnaissent dans l’empowerment, un instrument de progrès permettant au plus démunis de s’affirmer en contre-pouvoir collectif (Zimmerman, 1988, Le Bossé, 1996), d’acquérir des ressources et des droits fondamentaux, de maîtriser et de contrôler leurs propres affaires (Rappaport, 1987) et de réduire leur marginalité (Maton, 2008).
L’étude menée ici considère l’empowerment comme un processus réflexif pluri-dimensionnel. Elle s’intéresse à son déploiement au-delà du niveau personnel en se concentrant sur l’étape de transition entre la démarche individuelle et celle du groupe et sur la façon dont les communautés s’engagent collectivement dans des activités d’entraide, co-constuisent des solutions pragmatiques et influencent la transformation de la société et ce faisant… se redéfinissent au fur et à mesure de leurs interventions.
Comment appréhender les liens d’interdépendance entre l’individu et le groupe ?
La psychologie et la sociologie ont démontré l’existence d’un continuum, entre l’identité personnelle et l’identité sociale. Selon Ashmore et al. (2004), l’identité sociale d’un individu est formée par la perception de son appartenance à un groupe ou à une communauté. Cette affiliation comporte une valeur et une signification émotionnelles (Tajfel et als 1979, Turner, 2010). L’attachement à ses pairs est aussi perçu comme un facteur d’empowerment individuel lié à l’influence de la communauté (Rappaport, 1985 ; Speer et als,1995, McMillan, 1995). Cependant, malgré l’importance jouée par la médiation communautaire dans la connexion d’un individu à la vie sociale, l’étude du niveau collectif de l’empowerment reste limitée dans la littérature. Son analyse est d’autant plus ardue que sa définition reste fluctuante et ses contours flous. L’absence de consensus laisse le champ libre à de nombreuses interprétations et rend l’élaboration d’une échelle de mesure particulièrement ardue.
Ayant identifié quatre dimensions à savoir communautaire, collaborative et productive, politique (Fayn et al. 2019), j’ai commencé par étudier les auteurs ayant publié des échelles de mesures de l’empowerment politique ou sociopolitique.
L’empowerment politique
La plupart des articles consacrés à l’empowement politique émanent principalement des sciences sociales ou psychologiques. La majorité des textes fait référence aux définitions de Rappaport (1987) et de Zimmerman (1995).
Rappaport (1987) conçoit l’empowerment comme un processus par lequel les personnes, les organisations et les communautés acquièrent la maîtrise de leurs affaires, prennent en main leur existence et participent démocratiquement à la vie de leur communauté, notamment par le biais de structures de médiation.
Pour Zimmerman (1995), l’empowerment socio-politique est une dimension de l’empowerment psychologique. Ce construit comprend trois composantes. La première intrapersonnelle correspond aux qualités ou aptitudes propres à l’individu telles que la compétence, l’efficacité et la maîtrise. La seconde interactionnelle caractérise la conscience critique qui interroge les structures du pouvoir et les circuits d’influence. La troisième, comportementale, renvoie aux actions destinées à provoquer un changement social.
Dans les publications étudiées, les publics considérés sont les plus fragilisés, à savoir les personnes pauvres, sans abri, souffrant des problèmes mentaux, de handicaps, de malades chroniques, les minorités ethniques, les personnes âgées, les gays et lesbiennes et les femmes.
Ces populations connaissent des situations d’injustice, de racisme ou de discrimination. Par le biais de l’empowerment, elles vont augmenter leur pouvoir personnel, interactionnel et politique afin de transformer les situations d’oppression qu’elles subissent et de reprendre la maîtrise de leur destin. Pour cela elles vont conquérir des ressources, des compétences et porter leurs voix dans les arènes politiques et sociales. Les premières étapes sont l’analyse critique de leur situation et la construction d’une identité et d’une conscience de groupe (Bandura, 1982 ; Gutierrez,1995). Dans ce registre de nombreuses publications portent sur l’empowerment politique des femmes ; le corps social le plus important et qui rencontre le plus d’obstacles sur la voie de l’intégration politique. Selon Alexander (2017), l’empowerment des femmes signe non seulement le combat pour leur égalité avec les hommes mais il peut aussi être considéré comme un indicateur d’une égalité politique plus large, étendue à tous les groupes.
Ces publications interrogent les structures sociales, les droits, le rôle des élites issues des minorités, leur représentation au sein des organisations locales, des lobbies et partis politiques. Par contre rares sont celles qui proposent des échelles de mesure. Cinq auteurs ont cependant été identifiés (Zimmerman et als., 1991, Peterson et als, 2006 ; Song, 2006 ; Francescato et al., 2007 ; Mannarini et al. 2014). Tous abordent la dimension plurielle de l’empowerment et établissent un lien entre le niveau individuel ou psychologique et le niveau socio-politique.
Zimmerman et als (1991) développent une mesure intégrative du contrôle sociopolitique qui recouvre des perceptions telle que l’efficacité politique, la compétence perçue, le sentiment d’efficacité personnelle, le sens de la maîtrise, la participation à des communautés et à des activités communautaires. L’échelle retenue associe les mesures de personnalité, de connaissances, de motivations et de contrôle perçu dans les différentes sphères de la vie, l’individu, le collectif, la société. Le contrôle personnel renvoie à la conscience de ses aptitudes intrinsèques (capacités athlétiques, intellectuelles ou artistiques). Le contrôle interpersonnel porte sur la confiance dans ses habilités sociales d’interaction en duo ou en petits groupes (amitiés, soutien, coopération harmonieuse avec les autres). Le contrôle socio-politique est sous-tendu par la confiance dans ses capacités de leadership, d’influence de décision politique, d’organisation d’un groupe. Il implique un sentiment de leadership et de pression sur les décisions politiques. Il ressort des études deux qualités, leadership et contrôle socio-politiques sont des données majeures pour l’empowerment psychologique. L’échelle de contrôle socio-politique (Sociopolitical Control Scale – SPCS) largement utilisée a été revisitée en 2006 les formulations négatives induisant des biais ont été transformées en déclarations positives (Peterson et als, 2006).
L’échelle de mesure compte 3 sous-échelle et 17 items
Song (2006) fonde son échelle de mesure sur trois aspects différents de l’empowerment, personnel, interpersonnel et politique. Elle intègre des critères tels que : l’estime de soi, l’auto-efficacité, le pouvoir, l’action communautaire, l’autonomie, l’optimisme, le contrôle de l’avenir, la juste colère, les connaissances / compétences interactives, l’influence perçue, l’adhésion aux formes collectives de contre-pouvoir, les partenariats et l’influence la culture chinoise. Le score total obtenu dans les de huit domaines reflète le statut d’empowerment global des personnes. Son étude met en évidence la corrélation entre l’empowerment individuel et politique. Elle montre aussi que les modalités de mises en œuvre du pouvoir d’agir dépendent de la culture et de la tradition de la communauté.
L’échelle de mesure compte 8 sous-échelles et 34 items.
Francescato et al. (2007) identifient 3 facteurs, à la détermination propre à chacun, ils ajoutent des variables relevant de la conscience politique des personnes et de l’emprise qu’ils pensent avoir sur l’environnement (capacité à se poser et à poursuivre des objectifs, intérêt pour les questions socio politiques, confiance en soi et dans le futur). Les analyses révèlent un lien circulaire entre l’empowerment psychologique, l’engagement, l’action et le changement social. Ces trois facteurs influençant en retour la maîtrise qu’il détient sur sa propre condition.
Leur échelle de mesure compte 3 sous-échelles et 33 items.
Enfin Mannarini et al. (2014) adoptent un point de vue différent en étudiant principalement la relation de l’individu au politique (sa proximité avec cette problématique, sa mobilisation, son engagement politique, son activisme). L’analyse des résultats montre que les formes d’empowerment politique des personnes diffèrent en fonction de leur sympathie pour des partis politiques de droite ou de gauche et se révèlent plus mobilisatrice pour les sympathisants de gauche.
Leur échelle compte 4 sous-échelles et 28 items.
WORK IN PROGRESS……
Bibliographie
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[1] Dans la pensée de Freire (1970), les « pédagogues » désignent aussi bien les enseignants et que les opprimés eux-mêmes « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble, par l’intermédiaire du monde »
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