« Il y a beaucoup d’arbres différents dans la forêt de l’empowerment » constatait déjà Rappaport en 1995. Ces essences multiples offrent aux chercheurs une variété d’angles d’analyse et des nuances conceptuelles quasi infinies. 7 disciplines qui font tout particulièrement référence à l’empowement ont été retenues :

  • Les sciences de l’éducation,
  • La psychologie communautaire
  • Les sciences sociales
  • la géographie – sciences politiques,
  • Les sciences de l’information et de la communication
  • Le marketing
  • La santé

La plupart de ces disciplines à l’exception du marketing et dans une moindre mesure la santé privilégient une approche émancipatrice de l’empowerment. Ce mouvement “bottom up” caractérise la conquête du pouvoir par des populations vulnérables. A l’inverse, la logique “top down” désigne la transmission d’une aptitude par une organisation dominante à une personne dépendante (usager, consommateur…).

Les sciences de l’éducation ont vu naître le concept d’empowerment. Il est pensé par l’éducateur brésilien Paolo Freire (1970) qui pose sa définition originelle en tant que «processus de conscientisation permettant aux opprimés, de se mobiliser, de défendre leurs droits voire de transformer la société par la pratique émancipatrice de l’éducation». Aux côtés des minorités, des facilitateurs interviennent pour développer leur compréhension et leur autonomie afin qu’ils contrôlent leur destinée. Enseignants et élèves « lisent ensemble le mot et le monde ».

L’éducation joue un rôle crucial. Elle participe à une meilleure compréhension des relations de dépendance. Elle stimule le désir de changement, permet l’acquisition de connaissances nouvelles s’accompagne d’une plus grande confiance et estime de soi.

Cette « conscientisation » insuffle aux opprimés de l’envie de se mobiliser, d’agir sur leur environnement, de s’engager dans une transformation collective des rapports sociaux pour traiter les problèmes d’inégalité et d’oppression.

Dans ce cadre, l’empowerment suit le mouvement des individus qui s’affirment et s’émancipent, se reconnaissent comme porteurs d’une identité propre. Cette conscience qui se pense revendique une parole libre et des droits.

Processus de conscientisation, l’empowerment doit permettre aux opprimés de se mobiliser par la pratique émancipatrice de l’éducation (Freire, 1970)

La psychologie communautaire abordel’empowerment comme un mouvement d’émancipation de groupes sociaux minoritaires visant à exercer un contre-pouvoir collectif et un contrôle sur les évolutions qui les concernent (Rappaport, 1987, Zimmerman, 1990). La personne doit être considérée comme l’experte de sa situation particulière. L’empowerment est alors synonyme d’expansion de la liberté de choix et d’action, par un contrôle accru sur les ressources financières, sociales et naturelles et sur les décisions qui affectent sa propre vie. Cette maîtrise passe par deux vecteurs, un processus d’apprentissage et des actions allant de la résistance individuelle aux mobilisations politiques des masses qui défient les relations basiques de pouvoir dans la société (Bookman et al., 1988). L’empowerment individuel est lié à un empowerment civique.

A la fois moyen et fin, l’empowerment vise à libérer les groupes sociaux minoritaires, les collectifs constitués autour du déploiement d’une identité, de la promotion ou de la revendication d’une cause ». Rappaport (1987)

Les sciences sociales. Le concept d’empowerment a été largement repris dans le champ des pratiques sociales. L’empowerment est associé à la mobilisation des populations noires (Solomon, 1976), des femmes (Moglen, 1983, Thrupp, 1989), des pauvres, des minorités ethniques. En tant que modèle théorique, l’empowerment a été largement adopté par les travailleurs sociaux. Son cadre de référence est pertinent pour aider les personnes à influencer leur propre vie (Joseph, 2020). Il s’agit de repenser leur place (Banducci et al., 2004) dans une perspective « people-centred ». Les groupes minoritaires définissent leur identité culturelle et saisissent la loi et les différents mécanismes de résolution ou de recours pour mieux contrôler leur vie (Domingo, 2014). Cet engagement mène à davantage de pouvoir et d’initiatives et vise une transformation de la société.

Processus de transition d’un état d’impuissance à un état de contrôle plus affirmé sur sa vie, son destin et son environnement. (Sadan, 1997)

Géographie – sciences politiques et développement
Considéré comme une exigence démocratique, l’empowerment insuffle une forme d’autonomie de la société civile. De nouveaux modèles d’implication des populations sont déployées au sein des collectivités et des pratiques plus collaboratives sont mises en œuvre par les institutions (Bobo et als., 1990 , Adams, 2008). Ancré dans le lexique du développement (Friedmann, 1992 ; Fowler, 1993 ; Edwards et als, 1994), l’empowerment a été popularisé à une large échelle par les ONG qui se sont donné pour mission d’assister les communautés pour qu’elles identifient leurs propres besoins et intérêts, s’organisent et acquièrent des capacités et moyens pour orienter les politiques et défendre leur droits en tant que citoyens (Pearce, 1993) Adopté par les théoriciens de la politique de la ville, l’empowerment met les habitants au Coeur de projets urbains co-construits. Bacqué et al. (2013) proposent une politique d’« empowerment à la française » présentée comme un projet d’autonomie de la société civile où les politiques publiques coélaborées s’appuient sur les initiatives citoyennes

La thématique de l’empowerment indique (…) un processus qui met en son centre la construction des individus ou des groupes (Bacqué, 2006)

Les sciences de l’information et de la communication

Avec internet, un simple post peut susciter la création de groupes de pression qui se changent en forces politiques et sociales (Dubuisson-Quellier, 2010) ayant le pouvoir de mettre à mal une organisation. Quand un badbuzz peut déstabiliser une organisation et ses personnels, la gestion de la marque devient une gestion des risques (Fournier et al., 2011).

Aujourd’hui, le consommateur avisé, connecté à des collectifs hyper informés, hyper agiles sait faire entendre sa voix de citoyen et rappeler à l’entreprise sa responsabilité sociale (Kucuk, 2008, Cruz, 2012).

Xu (2016) reconnait le pouvoir collectif croissant des consommateurs sur les marques via les médias sociaux qui facilitent le passage de l’intention de se plaindre à la réclamation et des actions collectives à l’émergence d’un mouvement.

Ainsi, les médias sociaux ne sont pas seulement un outil de gestion des relations mais une source d’empowerment pour les clients qui possèdent la capacité d’influencer la consommation, d’agir et de peser sur les changements.

Les plateformes numériques ont augmenté l’engagement et la citoyenneté des individus et communautés interconnectées en facilitant leur implication sans précédent dans la gouvernance et la société. (La Rue, 2011)

Le cas particulier du marketing et de la santé

Le marketing s’est intéressé tardivement à l’empowerment, dans les années 2000, soit près de 30 ans après les analyses de Freire. A la différence des autres disciplines des sciences humaines et sociale qui partagent une vision de l’empowerment, en tant que vecteur d’expansion de la liberté de choix et d’action individuelle et collective, le marketing a privilégié une approche « Top down ». En effet, si tous les théoriciens du marketing reconnaissent le pouvoir croissant du consommateur, leur définition de l’empowerment diffère en fonction de leur conception du pouvoir et du client, acheteur conciliant, expert influent, partenaire, citoyen vigilant ou client –proie.

L’« empowerment » est repris dans son sens « Top down » par :

Le marketing relationnel instaure des relations durables et de qualité reposant sur la confiance, la rapidité, la clarté, la satisfaction, l’engagement (Mandlik et al., 2014)

Le knowledge marketing mobilise et développe les compétences des clients et collaborateurs, à travers un processus organisationnel de création conjointe des connaissances (Bonnemaizon et al., 2008). Ces approches sont fondées sur l’intégration des expériences et compétences du client et des lead users. Elles relèvent du «customer empowerment » qui tient compte des capacités du consommateur au sein d’un processus collaboratif organisé par le fournisseur de biens ou de services. Dans cette configuration, le client a le sentiment d’être reconnu comme étant la personne la mieux placée pour apprécier une offre et proposer des améliorations. Ses échanges avec les professionnels semblent se dérouler sur un pied d’égalité.

La « Service Dominant Logic » (Vargo et al., 2004) reconnait le rôle central des consommateurs – partenaires dotés de compétences – et met l’accent sur le processus collaboratif qui participe à la diffusion des innovations et à la co-création de valeur.

Seul le consumérisme a une approche « Bottom-up » de l’empowerment

Nouvelle force du marché, le consumérisme, informe, éduque et défend les droits et les intérêts des consommateurs contre tout type d’abus marketing (Chevalier, 2011). Il se rapproche de l’empowerment de type « Bottom-up » décrit par Freire (1970) notamment lorsque ce mouvement organise la résistance des consommateurs à l’encontre des entreprises ou de la culture de la consommation (Roux, 2007).

Marketing : des approches diverses de l’empowerment et parfois contradictoires

Empowerment psychologique

Spreitzer (1995) (1)
Fuchs et al. (2010) Pranic et Roehl (2012)
(2)  
Ben Ayed et al. (2016) (3)
Un état caractérisé par plusieurs composantes : 
– la compétence, le choix-auto-détemination, l’impact (1)
– le sens (objectif), l’information, la compétence et le contrôle-influence (2)
– l’auto-conscience, l’auto-détermination, l’auto-efficacité (3)
Tiu Wright et al (2006)En marketing, l’empowerment du consommateur est quelque chose d’intrinsèquement lié à la psyché de chaque consommateur  
Guintcheva, G. (2014)Le sentiment que le consommateur a de pouvoir contrôler, comprendre son environnement et essayer activement de le maîtriser
Morrongiello et al (2017). Une motivation individuelle fondée sur la conscience de soi en tant qu’acteur au sein d’un marché

Empowerment processus

Harrison et al. (2006)C’est un processus de développement personnel qui permet aux individus d’affirmer leurs besoins et d’influencer la manière dont ils se rencontrent et participent en tant que citoyens à une communauté.  
Cova et Cova (2009)L’empowerment conduit les individus à « participer par leurs compétences à un mouvement de prise de pouvoir sur leur consommation et par là même à être des consommateurs (…) avec un risque de perte de compétences dans de nombreux domaines de la vie quotidienne. »
Fuchs et al. (2010)L’empowerment est une stratégie adoptée par les entreprises pour donner aux consommateurs « l’impression de contrôler le système de sélection des produits ».
Papaoikonomou et Alarcón (2015)Le premier stade (du processus d’empowerment) est la création d’une offre alternative à la consommation traditionnelle. Le second correspond à l’affirmation d’un contre-pouvoir à travers des mobilisations civiques et des actions collectives. Le troisième relève d’un engagement civique en faveur de macrostructures sociales plus durables et démocratiques.
Prentice et al. (2016)L’empowerment est un processus par lequel le client prend le contrôle du déroulement du service et l’influence. C’est lui qui détermine le sens qu’il donne à sa consommation, qui apporte ses compétences, prend les décisions et apprécie le résultat.
Fayn et al., 2019Processus d’expansion de la puissance d’agir et du pouvoir d’influence du consommateur, l’empowerment se déploie au travers de démarches collaboratives (…). Portées par une énergie et une solidarité puisées dans son essence émancipatrice, les communautés conquièrent les nouveaux territoires de la connaissance et de l’innovation créées en partage et défient les systèmes traditionnels.  

Empowerment à travers ses conséquences

Charlier et al. (2006)L’empowerment prométhéen qui par sa fonction de transmission du savoir émancipe le consommateur de la domination du fournisseur fait de lui un individu plus compétent, plus avisé, plus influent, plus puissant.
Denegri-Knott et al. (2006)L’empowerment se rapproche d’une forme de fidélité contrainte du consommateur.
Bonnemaizon et al. (2008)La délégation du pouvoir au consommateur (Customer Empowerment) est le rééquilibrage nécessaire du pouvoir dans la relation par une revalorisation du consommateur et de ses compétences.
McShane et Sabadoz (2015)L’empowerment est l’affirmation d’un consommateur-politique, capable de poursuivre des objectifs citoyens à travers ses achats.
Calvès (2009)« L’empowerment est devenu un concept vague et faussement consensuel, qui assimile le pouvoir aux choix individuels et économiques (…) et est instrumentalisé pour légitimer les politiques et les programmes top down existants. »

En santé, l’empowerment est au cœur d’influences multiples

Pour répondre à l’évolutions de la demande des patients et aussi, par souci de qualité, d’efficacité et d’économie, un grand nombre de systèmes de santé ont adopté les principes de l’empowerment.

En immersion permanente dans des réseaux qui lui proposent des modèles de transaction et de communication plus transparents, plus collaboratifs, le patient s’en inspire pour renouveler sa relation au système de soins et pour régénérer son rapport aux soignants. Ces évolutions se retrouvent notamment dans les progrès accomplis en matière de démocratie sanitaire avec laloidu 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et dans la loi de modernisation du système de santé votée fin 2015.

Le patient empowéré améliore son état de santé et accède à une meilleure qualité de vie. Un patient qui comprend ce qui se passe dans son corps et les soins qu’il va recevoir, rend le traitement et le travail des médecins plus efficaces et se porte mieux. Le bénéfice individuel se traduit principalement par une « amélioration de l’efficacité des prises de décision individuelles et de la gestion des complications de la maladie et de l’adoption de comportements plus favorables à la santé ». L’OMS confirme la corrélation entre l’accroissement de l’empowerment individuel et le gain en santé. (Wallerstein, 2006).
Le patient va acquérir une partie du pouvoir « par la possession de compétences ou de connaissances » analysent French et al. (1959). Ce pouvoir se renforcera en devenant collectif avec la création et le partage des savoirs. Rabeharisoa et Callon (2002) notent que les associations ont été amenées, en s’adossant au mouvement self-help (groupes d’entraide), « à développer un troisième modèle dans lequel les malades jouent un rôle actif dans les orientations de recherche ».
L’empowerment est selon Staples (1990) « l’antithèse du paternalisme médical des années 80 ». Une posture qui peut se résumer par la revendication phare d’« Etre acteur de sa santé » ou encore « No decision about me without me ». L’empowerment est à l’œuvre quand l’adhésion du patient à son traitement s’efface derrière « sa capacité à identifier et satisfaire ses besoins, à résoudre ses problèmes et mobiliser ses ressources, de manière à avoir le sentiment de contrôler sa propre vie » (Gibson et al., 1991). La maîtrise du savoir expert par le patient et la reconnaissance de ses capacités et de son autonomie par les équipes sont au cœur des nouveaux rapports soignants-soignés.

La démocratie en santé, ce sont les avancées législatives qui renforcent les droits du patient. Elle désigne aussi une certaine façon de penser le parcours de l’usager au-delà de tout cloisonnement (Lefeuvre et al, 2018)

L’éducation thérapeutique s’articule avec le développement capacitaire et l’empowerment. Elle vise à aider les patients à acquérir les compétences pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. (Tourette-Turgis, 1996).

Le “Patient Centered Carerésonne avec l’empowerment. Prolongements de l’éducation thérapeutique, il recentre l’approche sur la personne et non pas sur le problème. Reconnaissant les ressources et capacités du patient à co-élaborer le traitement, améliorer la qualité des services et du son suivi. Quan à la Shared Decision Making”, elle est fondée sur une coopération mutuelle entre le patient et l’équipe de soins. Cette ALLIANCE remplace le paternalisme médical. La décision finale reflète l’accord convenu entre les praticiens et les patients plutôt qu’une décision unilatérale. (Loh et al.,2007)

Le consumérisme de santé Cet empowerment bottom up s’exprime au travers des associations de patients fondées autour de l’entraide, du soutien de la défense et de l’d’accompagnement. En lutte contre les exclusions, elles sensibilisent l’opinion publique aux conséquences sociales des pathologies. Elles plaident pour la totale transparence de la qualité, de la sécurité, de la recherche, des tarifs. Elles sont favorables au contrôle des prestations de soins par des agences indépendantes mais aussi par les patients eux-mêmes. Au départ revendicatrices, elles sont désormais associées à la définition des orientations de santé. En 2019, 160 associations étaient agréées au niveau national et 280 au niveau régional. Pour Almond (2001), ces participants, consommateurs puissants et actifs, jouent un rôle central dans la fourniture de soins de qualité optimale pour tous.

Ce qu’il faut retenir de cette analyse c’est que le marketing et la santé ont tendance à limiter leur approche de l’empowerment à son impact sur le comportement de l’individu alors que les autres champs des sciences humaines et sociales privilégient sa dimension collective.

En conclusion
Ce tour d’horizon montre la complexité théorique du sujet et son exceptionnelle plasticité qui tient presque de la contorsion puisque l’empowerment peut signifier une chose et son contraire ; un cas fort intéressant d’énantiosémie ! Saluons enfin la performance de cet anglicisme qui réussi l’exploit de traverser les siècles et d’entrer dans le lexique moderne pour désigner tout à la fois l’émancipation libératrice et la délégation sous contrôle.

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*Entre 15 à 20 millions de français sont atteints de maladies chroniques principalement le diabète, le cancer, l’insuffisance rénale, les troubles psychiatriques, le VIH… selon France Assos Santé

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Historique
Concept transdisciplinaire
Bibliographie