Capture d'écran de la page facebook ventant Cobra Kai © https://www.facebook.com/watch/?v=238994004378359
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41- 04/01/2022 Le succès de la série Cobra Kai* et l’attrait de la communauté latino-américaine pour le personnage de Carmen Diaz nourrit une question fondamentale concernant la relation à un modèle libérateur. Une héroïne de fiction peut-elle à la fois libérer et imposer un idéal ? C’est la question à laquelle nous allons tenter de répondre en nous appuyant sur les travaux académiques d’une dizaine de chercheurs.

Dans la très populaire série Cobra Kai diffusée sur Netflix, Carmen Diaz incarne une mère célibataire dotée d’une grande force de caractère. Soucieuse de bien éduquer son fils, elle l’encourage à s’initier aux arts martiaux. Hors des stéréotypes des familles traditionnelles, le personnage, campé par Vanessa Rubio, renvoie l’image d’une femme battante indépendante, intelligente et déterminée. Le caractère de Carmen Diaz s’est affirmé au cours des différentes saisons pour devenir une référence auprès de la communauté latino-américaine. Cette brune émancipée et empowérée bouscule les codes, à double titre. D’abord en transgressant les conventions sociales car elle assume seule le rôle de cheffe de famille, ensuite en bouleversant les pratiques culturelles qui jusqu’alors assignaient aux latino-américains des rôles de second plan. Quasiment invisibles à l’écran, ils ne représentent que 3,5% des acteurs au cinéma et à la télévision, le plus souvent en tant que figurants muets.

Carmen Diaz évolue donc à contre-courant des clichés. Par sa mise en lumière cinématographique, elle offre à la communauté qui partage ses codes, un exemple d’émancipation. Selon Pratt (1998), l’identification positive d’une communauté à une héroïne ou à un héros accroît la confiance des membres en eux-mêmes et l’estime qu’ils se portent. En retour, cette reconnaissance collective conforte leur sentiment d’appartenance et renforce la cohésion de l’ensemble. Les épreuves que surmontent Carmen Diaz sont les épreuves que les latino-américains surmontent par procuration (Mael & Ashforth, 1992). Cette projection sociale fait du personnage, un modèle charismatique (Conger and Kanungo ; 1998). En tant que représentation féminine positive, Carmen Diaz suscite un attachement propre à influencer le comportement de sa communauté, à l’encourager à prendre en main son destin, à suivre sa propre voie, à s’auto-déterminer.

Mais le besoin de se redéfinir par le biais d’une représentation cathartique ne révèle-t-il pas une nouvelle forme de dépendance à un modèle, même si ce modèle-référent promeut une dynamique d’empowerment ? Le simple fait de s’inspirer et de reproduire les comportements prônés par un personnage fictif et charismatique n’est-il pas finalement contraire à tout processus d’empowerment ? Tel est le paradoxe du référent empowermental qui tout à la fois libère et formate. Que disent les chercheurs à ce sujet ? Pour sortir d’une telle dualité, Kark et als. (2003) distinguent deux formes d’identification, individuelle et sociale.

L’identification individuelle génère à la fois empowerment et dépendance

Les chercheurs reconnaissent l’identification individuelle comme étant à la fois transformationnelle mais pouvant potentiellement imposer des liens de dépendance, liens qui selon ces chercheurs, ne seraient pas antinomiques car relevant de mécanismes différents :

– des dispositions propres à l’individu comme la motivation intrinsèque et la volonté de s’engager dans une démarche de changement. A noter que, si pour parvenir à s’affranchir d’une situation de dépendance, le suiveur cherche à s’identifier au leader alors la tentative de libération peut prendre la forme d’une allégeance à la figure charismatique, aux antipodes de l’émancipation recherchée.

– des attitudes spécifiques au leader charismatique, comme l’attention qu’il porte à chaque « suiveur », la manière dont il l’aide à découvrir ses talents, à atteindre de nouveaux objectifs…

– de la méthode adoptée pour se transformer comprenant notamment l’accès à l’information, le partage de connaissances et la volonté d’être efficaces (Zhang and Bartol’s, 2010).

Tout dépend de la forme que prendra la gouvernance et de la manière dont le suiveur va s’impliquer.

L’identification sociale conjugue transformation et empowerment

L’identification sociale est reconnue comme étant à la fois transformationnelle et davantage émancipatrice. Elle repose sur les mêmes ressorts que l’identification individuelle auxquels s’ajoutent des composantes collectives comme la médiation par un récit, des expériences, des émotions partagées, des relations de confiance entre les membres du groupe et des projets communs. L’ensemble de la communauté concernée intervient pour améliorer l’organisation du mouvement et son efficacité collective. Ce faisant, elle réduit l’impact direct du leader. L’identification ne porte plus sur une personne mais sur un groupe social.

Ainsi, pour résumer, l’identification individuelle à un leader peut mener à une forme de loyauté soumise, voire d’obéissance aveugle à la personne représentant « l’idéal ». Tandis que l’identification collective qui transite par le groupe privilégie les intérêts du collectif.

A sa manière Carmen Diaz imprègne la culture populaire et la façon dont la femme latino-américaine s’affirme dans la société moderne. Mais en devenant dominante son image s’impose comme un modèle à suivre : un diktat qui finalement restreindrait l’auto-détermination individuelle. Comment sortir de ce paradoxe ? Une des pistes proposées par la recherche reste la médiation du groupe concerné qui débat, discute et questionne l’idée même de modèle pour finalement repenser, avec un discours qui lui est propre, les notions de femme, de féminité et d’identité féminine dans la société.

Marie-Georges Fayn

*directement inspirée du film original The Karate Kid

Bibliographie

Conger, J. A., & Kanungo, R. N. (1998). Charismatic leadership in organizations. Sage Publications.

Kark, R., Shamir, B., & Chen, G. (2003). The two faces of transformational leadership: Empowerment and dependency. Journal of applied psychology88(2), 246.

Mael, F., & Ashforth, B. E. (1992). Alumni and their alma mater: A partial test of the reformulated model of organizational identification. Journal of organizational Behavior13(2), 103-123.

Pratt, M. G. (1998). To be or not to be: Central questions in organizational identification. In D. A. Whetten & P. C. Godfrey (Eds.), Identity in organizations: Building theory through conversation (pp. 171–207). Thousand Oaks, CA: Sage.

Zhang, X., & Bartol, K. M. (2010). Linking empowering leadership and employee creativity: The influence of psychological empowerment, intrinsic motivation, and creative process engagement. Academy of management journal53(1), 107-128.

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