17- 2/12/2020 Tout est devenu très compliqué pour Lenka Clayton*, artiste interdisciplinaire anglo-américaine, lorsqu’elle est devenue maman d’un petit garçon. La maternité, les soins quotidiens du nourrisson, l’attention requise par le bébé allaient prendre le pas sur son travail de plasticienne. Les résidences d’artistes ne pouvaient plus l’accueillir, notamment les plus prestigieuses qui ne reçoivent pas les familles. Lenka Clayton a alors décidé de créer sa propre résidence à domicile et elle s’est organisée. « Durant 227 jours, la concentration mentale fragmentée, l’épuisement, la sieste au studio et autres distractions de parentalité seront mes matériaux de travail plutôt que des obstacles à surmonter » a-t-elle consigné en septembre 2012 dans son manifeste. C’est ainsi que Lenka Clayton est entrée en empowerment, d’abord de manière individuelle puis collective. Focus sur la trajectoire d’une artiste-mère…
Face à une situation qui aurait pu l’amener à renoncer à sa pratique artistique, Lenka Clayton se fixe un but, concilier la maternité et l’art. Elle imagine une alternative et s’engage dans une voie inédite. Elle invente la résidence en maternité. Elle affirme ce choix et pour le financer, sollicite de nouvelles bourses.
Son dossier est retenu par la Pittsburg Fondation/Dotation Heinz pour son développement créatif et de la Fondation des arts durables.
Forte de ces soutiens, Lenka Clayton repense son processus de création. Elle s’inspire de son quotidien, des tâches maternelles faites d’attentions portées à son fils, tous ces gestes à peine considérés et les transforme en œuvres. Ainsi, elle photographie les 63 objets retirés en panique de la bouche de son fils (trombone, boutons, pièces…). Plus tard, elle filme les jeux de distance avec son fils **.
Elle imprime son choix sur ses cartes de visite avec son nom et en dessous « artiste en résidence en maternité » avec comme adresse le nom du site web http://www.artistresidencyinmotherhood.com . Ce blog devient à la fois son journal et sa galerie. Lenka Clayton recherche aussi l’appui de mentors. Elle obtient ceux de l’artiste Jon Rubin, l’universitaire et artiste Natalie Loveless, le conservateur Dan Byers et sa mère Jane Clayton.
Durant ces trois années de résidence, Lenka Clayton a reçu des messages de centaines de femmes connaissant des situations similaires et les a invitées à suivre sa démarche tout en l’adaptant à leur réalité ; une communauté s’est créée. Désirant leur transmettre son savoir, Lenka Clayton a imaginé un kit de résidence d’artiste en maternité qu’elle a mis à la libre disposition des autres membres, les encourageant à s’affirmer dans leur processus créatif.
Elle a assuré le mentorat de certaines d’entre elles (empowerment collaboratif) et a animé un groupe d’entraide (empowement communautaire). Son réseau a réuni quelque 350 mères artistes dans 32 pays et 6 continents. Pour la fête des mères en 2014, elle leur a demandé de décrire 24 heures de leur vie. Elle a rassemblé 100 lettres rédigées par 100 de femmes du monde entier et les a fait connaître lors d’une lecture publique au Centre d’arts de Pittsburgh. Elle a rendu visible et partagé leur expérience intime de la garde d’enfant et de la maternité.
Au niveau sociétal, son intervention apporte un nouveau regard sur la manière de lier créativité et maternité ; une continuité essentielle à l’épanouissement de l’art des artistes-mères. La jeune mère envoie également un message sur la nature même des résidences d’artistes qui éloignent habituellement le créateur de son milieu habituel alors qu’une résidence version ARIM (artist-in-residence-in-motherhood) « révèle» le cadre domestique.
Selon la doctorante Zoe Freney***, les femmes, artistes et mères, sont confrontées à plusieurs types d’obstacles,
- les uns physiques, émotionnels et économiques dus aux réalités de la maternité,
- les autres sociétaux, du fait des institutions patriarcales et de la vision “pas si émancipée” du milieu artistique.
« Malgré le discours contemporain sur l’égalité dans la maison et le lieu de travail, les femmes portent toujours le fardeau de la majorité des corvées. constate-t-elle. Dans son travail Lenka Clayton a su dépasser les clivages entre les frontières physiques, entre le travail visible et valorisé et l’attention à l’autre, invisible et sous-évaluée, entre espaces publics et privés, entre les jugements ambivalents portés sur les bonnes et mauvaises mères».
Décryptage d’une démarche empowermentale
A travers son propre engagement et avec de modestes moyens, Lenka Clayton a influencé les autres artistes et leur a montré comment reprendre le contrôle d’une situation qu’elles subissaient. Alors que le milieu artistique risquait de les marginaliser, alors que ces femmes se sentaient isolées, elle leur a expliqué comment gagner en visibilité en utilisant toutes les fonctionnalités du web et les a invitées à constituer une communauté d’entraide. Elle est devenue une référence. Ce faisant, elle a encouragé l’auto-détermination ainsi que l’auto-efficacité et accru l’auto-estime de personnes qui doutaient de leur avenir. Elle les a incitées à considérer leur quotidien comme une ressource et l’attention à leur enfant comme un travail créatif à part entière – moyennant une réflexivité, une analyse critique de leur condition et une organisation qui leur assure un soutien et une autonomie – ne serait-ce que de quelques heures par jour.
Au-delà de la remise en question des stéréotypes liés à la maternité, certains observateurs ont vu dans cette démarche la naissance un mouvement dans l’art contemporain****.
Ici, le processus d’empowerment soutient une pratique artistique. En adoptant cette démarche les plasticiennes et mères donnent du sens à leur expérience de vie et transforment notre vision de la création et des créatrices.
Marie-Georges Fayn
*Lenda Clayton est la première artiste en résidence en maternité
** The Distance I Can Be From My Son – video series exhibition Pittsburgh Center for the Arts, 2013 http://www.lenkaclayton.com/the-distance-i-can-be-from-my-son#:~:text=The%20Distance%20I%20Can%20Be%20From%20My%20Son%20(Park)&text=A%2/0series%20of%20videos%20that,An%20Artist%20Residency%20in%20Motherhood. – consulté le 05/08/2020
***Freney, Z. (2020). Artist Mothers and Virtual Collectives: Making Art and Community from Home. Journal of the Motherhood Initiative for Research and Community Involvement, 11(1).
**** Cailey Rizzo 14/05/2017 Lenka Clayton Challenges What It Means to Be an Artist and a Mother – consulté le 10/08/2020
Très intéressant. Personnellement je commence une formation diplomante d’arthérapeute à l’hopital saint anne à Paris et suis intéressée par votre démarche.