81- 06/10/2024 –“Nous sommes tous des consommateurs de santé, tout comme les élèves sont consommateurs d’école et les citoyens consommateurs de services publics ” écrivait Georges Golbérine, rédacteur en chef du magazine 50 millions de consommateurs dans un éditorial publié en 1992 à l’occasion de la sortie du 1er palmarès des urgences
Mais qu’est ce qu’un consommateur de santé ? Le terme revêt plusieurs acceptions. Pour simplifier, il caractérise toute personne qui a, a eu ou aura recours aux services d’un prestataire de santé pour des consultations, soins, examens ou traitements médicaux. À ce titre, nous sommes bien tous des consommateurs de santé, d’avant même notre conception jusqu’à notre mort (de la fiv au don d’organe).
Le choix du terme “consommateur” plutôt que “patient” n’est pas anodin. Cette distinction marque une rupture avec l’image d’un profane passif en attente de traitement. Le consommateur de santé du XXIème siècle se caractérise par une exigence accrue, une conscience aiguisée de ses droits[1], et une appréciation critique des bénéfices, des risques, de la qualité des soins et du reste à charge. Pour se maintenir en forme, le consommateur investit dans son ‘capital santé’. En cas de maladie, il recherche des soins personnalisés les plus adaptés à sa situation. Du point de vue des soignants, cette évolution implique un changement de posture : les professionnels doivent reconnaître la liberté de choix de la personne et sa capacité à comparer les offres,.. Ils doivent aussi tenir compte de ses habitudes de consommation impactées par internet comme le fait de rechercher des avis avant toute commande ou de recevoir des réponses immédiates à ses requêtes, avec les biais inhérents aux flux continus d’informations, souvent contradictoires, où les fake news supplantent les recommandations des experts. Enfin, pour juger de son ‘expérience santé’, le consommateur sera tenté de l’évaluer en fonction des standards en vigueur dans les autres secteurs.
Le concept de consommateur résonne également avec les principes de co-construction du diagnostic et avec le processus de négociation autour du traitement. Ces approches renvoient aux pratiques de soins centrées sur le patient, basées sur l’autonomie, la transparence, et la prise de décision partagée. Dans ce modèle collaboratif, le patient joue un rôle central : il exprime ses attentes et ses préférences afin que la solution co-construite soit la plus en phase avec son mode de vie et ses projets. Comme l’explique Jérôme, qui a dû choisir entre kinésithérapie ou chirurgie pour traiter la rupture des ligaments croisés de son genou, la discussion avec ces professionnels de santé et le temps de réflexion ont été cruciaux pour prendre une décision éclairée, en fonction de ses priorités personnelles. « J’avais le choix entre de la kinésithérapie ou une chirurgie pour mon genou. J’ai vraiment apprécié de pouvoir en discuter avec les professionnels, à la fois le kiné et le chirurgien. Après la consultation, ils m’ont envoyé des articles sur chacune des options, ce qui m’a aidé à me faire une idée plus précise. J’ai pris le temps de réfléchir, de peser les avantages et les inconvénients, en tenant compte de ce qui est important pour moi : ma vie de famille, mes déplacements, mon travail et mes loisirs. J’en ai aussi discuté avec ma femme. Ces étapes étaient indispensables pour que je puisse prendre la meilleure décision et m’engager pleinement. »
Ce témoignage illustre l’importance d’une approche de soin où le patient, en tant que véritable acteur, prend des décisions instruites qui correspondent à ses priorités personnelles
Le figure du consommateur est aussi invoquée chaque fois que l’accent est mis sur l’essor d’un marché ; celui des objets connectés en santé en est un exemple. Dans ce secteur, le rôle prépondérant lui est dévolu au consommateur en tant que cœur de cible des entreprises et start-up de l’e-santé. Le consommateur est incité à acheter ou à adopter des applications et des objets de santé connectés pour surveiller sa santé, gérer ses traitements et améliorer son bien-être. Ces outils numériques font de lui le décideur et l’opérateur. Soucieux de maintenir sa forme, il adopte des trackers de décompte de pas et de calories brûlées, des capteurs de sommeil ou de suivi de la nutrition. Il acquiert des appareils qui mesurent son niveau de stress en fonction de la fréquence cardiaques et qui dans la foulée proposent des conseils pour soulager les migraines, l’insomnie ou l’anxiété. D’autres applis se développent pour le soutenir dans son sevrage tabagique, cannabique ou alcoolique. S’il souffre de diabète, d’hypertension artérielle, ou d’insuffisance cardiaque, l’adepte de nouvelles technologies délègue la surveillance de ses constantes à son smartphone, son bracelet ou sa bague. Un pilulier connecté lui évite les oublis de médicaments. Même le rythme cardiaque du fœtus est surveillé grâce aux ceintures connectées qui détectent aussi les contractions utérines des grossesses à risque. Outils de motivation, d’éducation et d’engagement, ces dispositifs fournissent au consommateur une meilleure compréhension de son métabolisme et du fonctionnement de ses organes. En personnalisant les données, ces dispositifs l’amènent à prendre conscience des facteurs qui agissent sur sa santé et son bien-être, faisant de lui le principal contrôleur et le grand responsable de sa santé.
De l’amateur d’achat au consommateur empowéré
Le consommateur en santé 4.0 n’a plus grand-chose à voir avec le consommateur vulnérable des années 50. Qualifié d’« amateur de l’achat », il se distingue par l’usage privé qu’il fait des biens ou des services qu’il se procure et qui sont sans lien avec son activité professionnelle[2] comme l’énonce le code de la consommation. Opérateur économique isolé et démuni, il se trouve en position d’infériorité technique, économique, juridique vis-à-vis des fournisseurs. Du fait de sa méconnaissance de l’objet ou du service acheté, de son manque d’attention et de sa crédulité, il doit être protégé et ses intérêts doivent être préservés par les Etats. C’est pourquoi en 1958, l’Union Européenne a acté sa volonté de contribuer à la protection de sa santé, de sa sécurité, de ses intérêts économiques et aussi, à la promotion de ses droits à l’information, à l’éducation et à s’organiser[3].
Un demi-siècle plus tard, une nouvelle génération de consommateurs empowérés challenge les relations de pouvoir avec les fabricants, les distributeurs et les prestataires.
La montée en puissance des consommateurs de santé redéfinit la relation avec les soignants.
Plus avertis, plus impliqués, plus conscients de leurs droits, ces patients-consommateurs entendent participer activement aux décisions qui les concernent. Cependant ce gain en confiance s’accompagne d’une exigence plus forte, rendant l’individu plus prompt à exprimer son mécontentement lorsqu’il estime que ses attentes ne sont pas satisfaites. Il est alors invité à utiliser les voies de recours conventionnelles tels que les questionnaires de satisfaction, les réclamations et les plaintes…
Mais un certain nombre de patients, intolérants à la frustration, révèlent le côté obscur du consommateur. Ils laissent exploser leur contrariété par des propos agressifs voire par des gestes violents. En 2021, 391 établissements de santé ont déclaré 19 328 signalements d’atteintes aux personnes et aux biens selon le Ministère de la santé et de la prévention[4]. Les reproches portent principalement sur la prise en charge (51,4%, données 2021) comme l’illustrent ces trois témoignages extraits du rapport 2022 de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS). « Aux urgences, un patient a souhaité passer un scanner. Quand le médecin lui ayant indiqué que cela n’était pas nécessaire, il s’est énervé et a donné un coup de pied dans l’ordinateur qui a volé en éclat ». « En radiologie un homme s’est présenté pour son rendez-vous d’échographie, il a d’abord très mal réagi quand on lui a demandé d’aller se faire enregistrer à la caisse avant, puis quand il est revenu après son enregistrement il s’est avéré qu’il n’avait pas non plus d’ordonnance. Nous n’avons même pas eu le temps de lui expliquer que c’était indispensable, il s’est emporté, tenant des propos menaçants, insultant l’ensemble de l’équipe, hurlant, et tapant contre la vitre et le comptoir à plusieurs reprises, tournant comme un lion en cage en criant. Il a continué à proférer des menaces à l’encontre de chaque soignant, pendant de longues minutes. Le personnel a été obligé de s’enfermer à clef dans l’accueil avec le cadre. Les agents ont eu très peur ».
Les professionnels se plaignent de patients qui interprètent le droit à la sécurité sociale comme un accès illimité aux soins. Ils n’hésitent pas à adopter les pires travers consuméristes, ils arrivent en disant « j’ai droit à, je veux …un scanner, une IRM, maintenant ! ». Ils exigent certains médicaments pour des abus ou des mésusages, se rendent aux urgences pour se ravitailler en médicament « car la pharmacie de garde est trop éloignée de leur domicile », publient des avis diffamatoires ou insultants sur les réseaux sociaux, menacent de changer de médecin si celui-ci ne leur prescrit pas l’ordonnance souhaitée.. Ces comportements ne relèvent pas de l’empowerment mais d’une dérive consumériste.
Côté soignant des pratiques critiquables doivent aussi être revues : des attentes excessives sans explication, des diagnostics annoncés sans ménagement, des prises en charge décevantes… Le rapport 2022 de l’ONVS cite notamment le cas d’une patiente hospitalisée en soins de suite et de réadaptation, confrontée à « des comportements inacceptables comme des vexations inutiles de la part d’infirmières l’intimant à rester en chemise de nuit toute la journée, ou encore l’utilisation d’un vocabulaire déplacé pour s’adresser à une personne de 90 ans “Ma minette” au lieu de “Madame”, sans compter les réflexions désagréables. [5]»
Et que dire des stakanovistes de la consultation qui multiplient les actes et ne réservent pas suffisamment de temps à l’écoute et à la compréhension du malade ? Plus grave encore certains n’hésitent pas à prescrire des traitements inutiles pour augmenter leur pouvoir d’achat ni à utiliser de manière immodérée le principe du dépassement d’honoraire.
De part et d’autre, il est nécessaire de restaurer le respect dû à tout un chacun, aux professionnels de santé, aux personnels des établissements comme aux patients ainsi que les règles et devoirs élémentaires de civisme, de vie en société et de déontologie. Un juste équilibre reste à trouver entre les exigences légitimes des personnes et le respect du cadre médical. Il en va de la qualité de la relation de soin. Celle-ci repose en effet sur une combinaison subtile d’empathie, de confiance, de savoir-faire clinique et d’échange de connaissances. Idéalement, cette relation devrait permettre au patient de mieux appréhender les contraintes d’un secteur en tension et au professionnel de mieux anticiper les sources potentielles d’insatisfaction.
Cette évolution qui fait du consommateur un véritable partenaire des soignants soulève cependant des défis en matière d’organisation des soins et de la disponibilité des professionnels dans un système de santé proche de l’effondrement.
Marie-Georges Fayn
[1] à commencer par le libre choix du médecin (droit en passe de devenir purement théorique en ces temps de pénurie de généralistes et de spécialiste et plus encore dans les déserts médicaux où les rares praticiens encore en exercice refusent les nouveaux patients).
[2] Code de la consommation, article liminaire inspiré du droit communautaire
[3] Article 169 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE)
[4] Synthèse du Rapport 2022 Données 2020 et 2021, Observatoire national des violences en milieu de santé
[5] Rapport 2022 ONVS p77
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