75- 02/05/2024 Ce mois-ci Selfpower Community vous invite à découvrir la dynamique empowérante de Singa, une ONG au fonctionnement participatif qui aide les personnes exilées ou réfugiées à atteindre leur plein potentiel professionnel. Pour parler des réalisations et des stratégies de promotion du changement initiées par ce mouvement, nous avons échangé avec Isabelle et Jessica, ingénieur pédagogique à Singa global…
Comment Singa a-t-elle réussi à transformer des personnes vulnérables en entrepreneurs ?
Justement en ne les considérant pas comme vulnérables, en changeant de regard et en les mettant en situation d’agir. La méthode SINGA puise son inspiration dans le modèle de réseau en pair-à-pair, un modèle d’échange d’égal à égal. Chez SINGA, personne n’aide ou n’est aidé·e, tout le monde est acteur et actrice de changement, travaillant ensemble pour partager et apprendre les un·e·s des autres.
Nous privilégions les échanges informels qui favorisent la découverte de la personnalité des élèves et de leurs talents. Plus diplômés, plus résilients que la moyenne des jeunes adultes, ils n’étaient pas valorisés dans les structures d’accueil pour immigrés. Les initiateurs ont alors eu l’idée de s’appuyer sur les savoirs et savoir-faire de leurs interlocuteurs pour les aider à s’établir dans leur pays d’accueil. Ils ont imaginé un processus qui développe leurs aptitudes jusqu’à les rendre totalement autonomes, pourquoi pas entrepreneurs voire même employeurs !
La méthode SINGA consiste à donner de la voix, de l’influence et de la visibilité aux personnes concernées par la migration. Notre approche de l’inclusion repose aussi sur la contribution active des nouveaux arrivants à nos programmes*. Nous ne nous appuyons pas sur des dispositifs imaginés sans l’expérience et le regard de ceux qui ont vécu l’épreuve de la migration. Nous ne recherchons pas un impact sur des publics dont nous ne sollicitons ni l’opinion, ni la réaction, ni l’évaluation.
Comment amener les nouveaux arrivants à reprendre le contrôle de leur vie, de leur destin dans un environnement dont ils ignorent les codes ?
Nous voyons le rôle de SINGA un peu comme celui d’une néo banque sociale car elle met à disposition des personnes nouvellement arrivées le capital social de ses membres ainsi que ses locaux. Pour libérer les talents, SINGA mobilise une grande communauté, un réseau d’aidants représentant une diversité culturelle. Nous pensons en effet que l’acte le plus simple et le plus décisif pour se lier à un nouvel arrivant est partager avec lui son capital social. Ce capital social que les personnes ont laissé derrière elles et qu’il est si long et difficile de reconstituer dans un pays où elles ne maîtrisent, du moins au début, ni les cultures, ni les codes et ni la langue.
Le lien est la clé. Les rencontres entre locaux et nouveaux arrivants facilitent l’accès à des opportunités (emploi, formation ou logement) ; ils permettent surtout de prendre confiance. Les nouveaux arrivants sont porteurs d’un cadeau précieux quand ils rejoignent nos sociétés : leurs savoirs et expériences de vie. C’est la raison pour laquelle SINGA développe une multitude de programmes (via la pratique de la langue locale, la rencontre avec des locaux, l’acquisition de repère socio-culturels, l’appropriation de la culture, et l’identification de personnes ressources). Ces ateliers sont destinés à créer ces liens qui aident à trouver sa place, à reprendre confiance en soi, à apprivoiser son environnement, à se sentir partie prenante d’un groupe et au-delà d’un projet de société. Autant de soutiens qui évitent à la personne de perdre pied dans une spirale faite d’aliénation, de sentiment d’incapacité, de dépendance et de solitude.
Qu’est ce qui a amené Singa à évoluer ? A proposer de nouveaux services ?
Lors de leur période de stage au Maroc et en Australie auprès de migrants, les 2 étudiants co-fondateurs, se sont rendus compte que beaucoup de nouveaux arrivants qui avaient envie d’entreprendre. Or les pays d’accueil cherchent surtout à les empêcher d’arriver et quand ils sont là, à se protéger d’eux ou bien ils se focalisent sur leurs besoins, mais aucune structure ne pense à valoriser leurs compétences. Ce qui est une erreur car leur permettre de créer une entreprise, c’est se projeter positivement dans la durée puisque de toute façon la plupart des réfugiés ne repartent pas. Pour pallier cette lacune le programme Buddy a déployé 2 dimensions, une sur les centres d’intérêt et une sur l’entrepreneuriat.
Il a fallu trouver un nom et là encore les co-fondateurs se sont distingués en s’inspirant d’un terme renvoyant à la culture des nouveaux arrivants : SINGA vient du mot «lien» en lingala mais en bambara cela veut dire emprunt ou prêt. Il y avait en effet un lien avec la micro finance car les initiateurs avaient pensé créer une plate-forme de crowdlending qui n’a finalement jamais vu le jour.
Le besoin de logement se faisait sentir et un projet est sorti d’un hackaton organisé par SINGA : Le projet d’hébergement citoyen « Comme A La Maison » (devenu depuis “J’accueille”) a été créé. En 2015, la tragédie du petit Aylan échoué sur une plage a suscité un émoi mondial et une vaste prise de conscience en Europe. Le projet d’habergement a pris de l’ampleur, SINGA Commons a été créé et une licence a été mise en place.
Comment s’organisent les groupes de travail ?
Chaque programme a son déroulé et ses priorités spécifiques :
• Bienveillance : accueil chaleureux et inconditionnel – valorisation de la démarche – lien de confiance,
• Ecoute et empouvoirement, d’égal à égal : demander ce que veulent les porteurs.euses et ne pas leur dire quoi faire,
• Flexibilité inclusive par rapport aux porteurs.euses de projet : format, langue, besoins spécifiques par rapport aux freins périphériques…• Création de liens avec d’autres acteurs de l’écosystème et d’autres entrepreneurs, en particulier des aluminis,
• Ateliers d’intelligence collective : les porteurs.euses de projet identifient des sujets pour des ateliers de co-développement avec leurs pairs,
• Vision large de l’entrepreneuriat : pas que des start-up ou des entreprises mais aussi des associations, des projets artistiques et culturels, freelance…
• Aide à décoder/traduire l’écosystème de la création d’activité,
• Accompagnement global, au delà de l’idée entrepreneuriale,
Viser un mieux-être mental et accompagner l’idéation comme la personne incubée pour que cette dernière
• Se sente moins seule ou isolée,
• Vive un boost de confiance en elle,
• Ressente une plus grande capacité à agir
Les anciens porteurs de projet sont sollicités pour être intégrés au fonctionnement de l’association (ainsi Rooh Savar ex-incubé pour le projet de néobanque pour les nouveaux arrivants Welcome Account est président de SINGA Global, Camila Rios Armas ex-incubée pour l’association UNIR est présidente de SINGA Paris).
Quelles fonctionnalités ont permis de tisser des liens au sein des groupes ? Quels dispositifs de collaboration avez-vous créé ou co-créé avec les participants ?
Nous n’avons pas trouvé de meilleurs supports de connexion massives entre locaux et nouveaux arrivants que le partage de passions et d’intérêts communs « faire ensemble ce que l’on aime », la fête le sport, la musique et se réunir à l’occasion d’événements,
Nous accompagnons aussi des projets qui rejoignent cette démarche via 9 incubateurs en Europe (Kabubu, l’association qui vise à favoriser l’inclusion sociale et professionnelle des personnes exilées grâce à la force du sport ; MeetMyMama, révèle les talents culinaires des Mamas du monde entier ; Frello, accompagne tout type de structure formant au français ; Konexio, propose des formations gratuites aux compétences informatiques et aux métiers de la tech ; Caracol, soutient les projets d’occupation temporaire à but d’habitat solidaire ; RefugeeFoodFestival, facilite l’insertion professionnelle dans la restauration des personnes réfugiées ; Welcome Account, première banque au monde qui accélère l’inclusion financière des nouveaux arrivants ….
Comment évaluez-vous l’efficacité de vos dispositifs ?
La meilleure évaluation est le feed back et les discussions avec les participants aux différents programmes. Mais de plus, un rapport d’évaluation en septembre 2023 par Improve a mesuré l’impact de l’accompagnement à l’entrepreneuriat de SINGA. Voici quelques chiffres :
– 71% des entrepreneurs ont (re)pris confiance en leurs capacités professionnelles,
– 75% de personnes ayant vécu un déclassement professionnel par rapport à leur pays d’origine disent avoir retrouvé une position sociale plus forte.
Quelles sont les valeurs fortes sur lesquelles se retrouvent les équipes ?
L’horizontalité : nous construisons des relations horizontales, en faisant “avec” et non “pour”.
Bienveillance, ouverture et respect : nous construisons des programmes flexibles pour pouvoir nous adapter aux besoins de chacun-e. Tous les secteurs d’activité et tous les profils sont les bienvenus : c’est de cette diversité que la communauté de SINGA tire sa force.
“Pour les salariés SINGA, il existe un monde où la demande d’asile n’est pas une souffrance supplémentaire, où les compétences sont reconnues, et la différence culturelle est accueillie comme une opportunité d’apprendre.” (Guillaume Capelle, co-fondateur de SINGA).
Estimez-vous être porteur de transformation sociétale ?
SINGA est porteur de transformation sociétale dans le sens où il applique une approche collaborative à l’immigration. Il encourage la valorisation des capacités entrepreneuriales des nouveaux arrivants. Dans cette perspective, il veut enrichir et faire fructifier les compétences et talents de personnes souvent réduites à un état de dépendance du fait de leur statut imposé de bénéficiaire d’aides, voire ostracisées car considérées comme indésirables et menaçantes. SINGA rompt avec ces stéréotypes.
L’ONG développe un concept de bénévolat horizontal et met en œuvre des stratégies qui donnent corps à leur engagement solidaire aux côtés des nouveaux arrivants[1].
La dimensions sociétale se retrouve aussi dans ses partenariats avec :
- des acteurs publics (BPI France, French Tech Tremplin, CitésLab, OFII, Ville de Paris),
l’écosystème associatif et entrepreneurial (Adie, Diversidays, makesense, Emmaüs Solidarités, …)
- des entreprises privées, fondations et fonds (Generali, Fondation Entreprendre, KPM, Estimeo, Fonds Sens, Fondation VISA…)
- des lieux ressources (la Maison des Réfugiés en copilotage avec Emmaüs Solidarité, La Gaîté Lyrique que SINGA dirige en consortium aux côtés d’Actes Sud, Arty Farty, ARTE France et makesense), Les Amarres, Les Canaux, …)
SINGA partage également ses méthodologies et participe activement à de nombreuses coordinations regroupant des acteurs non gouvernementaux, économiques et publics permettant ainsi d’amplifier son impact en France et en Europe.
Enfin la dimension sociétale, c’est aussi l’affirmation de valeurs fédératrices autour d’une certaine conception plus inclusive du monde du travail. Avec Utopies, SINGA est porteuse de la Charte de l’Inclusion[2] signée par plus de 60 grandes entreprises, PME/TPE, réseaux et associations. Elle vise à faire changer le regard des entreprises sur “l’employabilité” des personnes refugiées et exilées.
SINGA est désormais reconnue par les instances officielles comme un partenaire. L’ONG participe aux travaux et conférences du Refugee Entrepreneurship Network et est engagée dans le collectif Work With Refugee.
Suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, « J’accueille » a partagé son expertise avec plus de 10 acteurs associatifs dans les pays frontaliers.
Avez-vous le sentiment d’avoir donné un nouvel éclairage à la question de l’immigration ?
Nous savons que la migration est et restera une réalité structurelle dans un monde de plus en plus globalisé et interconnecté. Ces mouvements sont accentués par la démographie mondiale, les pressions des inégalités économiques, des conflits armés internationaux et du dérèglement climatique. Aucun mur, aucune force policière, aucune législation ne pourra interrompre le changement d‘échelle des migrations. Chez SINGA, nous sommes convaincu.e.s que les migrations, loin de diviser, sont un moteur de prospérité, de créativité et contribuent à la cohésion sociale. C’est ce que confirment d‘ailleurs la plupart des économistes aussi différents que Jean Tirole, Patrick Artus ou les keynésiens de l’OFCE.
L’immigration est un atout indispensable pour financer un modèle social durable, équilibrer les systèmes de retraites et de santé, et rester prospères. Les bénéfices de la migration sont innombrables. Une enquête récente du CNRS démontre que les compétences des personnes immigrées et la diversité au sein des équipes favorisent l’innovation dans tous les secteurs.
Les migrations offrent aussi des occasions uniques d’apprendre à interagir avec des individus issus de divers horizons, renforçant ainsi la capacité d’adaptation dans une société en constante évolution ; un pas accompli vers la compréhension mutuelle et la cohabitation harmonieuse.
Nous avons toujours cherché à atteindre le point de bascule de la société. Il arrive quand assez de personnes ont vécu une autre expérience de l’inclusion, ont pris connaissance de l’absurdité des règles et des comportements actuels. Pour SINGA, l’inclusion est la clé de voûte du changement de regard. C’est la raison pour laquelle SINGA multiplie ses efforts pour apaiser le débat, former les citoyennes et citoyennes et transformer les perceptions sur la migration. SINGA met ainsi en lumière des portraits et des récits des personnes concernées, les contributions positives à la société et sensibilise à la réalité des faits migratoires.
SINGA s’engage à transformer le lexique et les images associés à la migration, en incarnant l’inclusion plutôt que l’exclusion.
*Les programmes d’accompagnement à l’entrepreneuriat comportent des rendez-vous individuels réguliers avec un chargé d’accompagnement de SINGA qui permettent un suivi et des rendez-vous individuels avec des mentors / experts si besoin selon les secteurs, des ateliers collectifs sur des sujets en lien avec l’entrepreneuriat en journée ou le soir ainsi que des événements ou rencontres avec d’autres entrepreneurs, des alumnis, des partenaires … Après la fin du programme, un alumni peut toujours solliciter les équipes et / ou la communauté.
Rédaction : Singa et Marie-Georges Fayn
Grande cause défendue : créer une société plus inclusive en rassemblant locaux et nouveaux arrivants (personnes réfugiées, demandeurs d’asile…) autour de projets sociaux, professionnels et entrepreneuriaux.
Date de création : 2012
Adresse : Kiwanda (50, rue de Montreuil, 75011, Paris, France
Particularités : mise sur la valorisation des talents et non pas sur besoins d’assistance et sur un modèle d’échange d’égal à égal, de pair-à-pair, considère l’immigration comme un moteur de prospérité, de créativité et de cohésion sociale ; en contrepoint avec les stéréotypes qui dénoncent l’immigration comme une menace
Missions : offre une réponse constructive et digne à la question de l’intégration
Nombre d’adhérents : une communauté internationale de 50 000 membres
Nombre de projets accompagnés : 500 sur Paris
Nombre de start-up accompagnées entre 2018 et 2023 : 317
Présence dans 10 pays et 20 villes
[1] Vidéo de David Robert https://impactstories.fr/video/43/la-cooperation
[2]https://Singafrance.com/histoires/Singa-et-utopies-creent-une-charte-en-faveur-de-linclusion-professionelle-des-nouveaux-arrivants/
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