73- 01/04/2024 Notre tour d’horizon de l’empowerment nous entraîne ce mois-ci dans l’univers virtuel des crypto-monnaies. Peut-on considérer les actifs numériques comme des vecteurs d’émancipation et d’auto-détermination des individus ? Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la question. Voici une synthèse de leur analyse…
D’abord de quel empowerment parle-t-on quand on l’associe aux crypto monnaies ?
Avec l’arrivée des Bitcoins, E.ther et autres BNB, la finance s’est ouverte aux néophytes et à tous les exclus des banques. La démocratisation d’un secteur jusque là réservé à une élite d’initiés suit le schéma d’empowerment « top-down » , celui de la délégation d’un pouvoir, d’une autorisation, ou d’une permission. A une différence notable près : la transmission du Bitcoin s’est déroulée sans contrepartie, en libérant l’accès au code source et au logiciel de la monnaie, à la manière de Prométhée qui remet le feu aux hommes. De fait, l’absence de compensation transforme cette concession en don et explique pourquoi Atkins (2022) qualifie ce transfert d’un des « grands événements historiques » et le compare à l’avènement de « la démocratie, l’invention de l’imprimerie et la Renaissance »
Les cryptos, alternatives à l’organisation traditionnelle de l’économie et de la société…
En créant la crypto-monnaie en 2008, alors que sévissait la crise des subprimes, le concepteur identifié sous le nom de Satoshi Nakamoto a voulu démocratiser l’argent, libérer les individus et les générations à venir. A la fois technologies financières et monnaies alternatives, les crypto-monnaies sont des systèmes de paiement cash décentralisés entre pairs à l’anonymat préservé (Mougayar 2016). Les transactions se déroulent sans autorité de contrôle, sans régulation extérieure, sans gouvernement, sans infrastructure physique donc sans besoin de louer des locaux, sans intermédiaire – sauf pour les opérations effectuées via les plateformes d’échange de crypto (Corbet, et al. 2019). Un algorithme enregistre la chaîne des transactions sur un registre public et le diffuse aux membres du réseau via une blockchain. Ces échanges effectués à une rapidité étonnante, ne peuvent être manipulés par d’autres personnes ou entreprises ce qui exclut -a priori -le risque de fraude. Chaque utilisateur détient une clé privée pour accéder et gérer ses crypto-monnaies. La transparence et la validation des échanges garantit la fiabilité du système
… Mais investissements risqués
Si les gains enregistrés sont bien supérieurs aux placements traditionnels, il n’en demeure pas moins que les cryptos sont des investissements risqués. Leurs principaux points faibles : leur volatilité, l’absence d’assurance en cas de perte du portefeuille numérique, l’absence de garantie par les banques centrales, leur difficile conversion en devises fiat ( dollar américain, euro, yen japonais, livre sterling…), leur risque de piratage et enfin leur dépendance à l’électricité.
Le Bitcoin est accusé d’être devenu une pyramide de Ponzy, un moyen de spéculer et de manipuler les marchés bien loin des intentions éthiques et du rêve libertarien initial. Les détracteurs soulignent aussi que les transactions en Bitcoins ont été largement utilisées pour financer des réseaux terroristes ou criminels (Wang & Zhu, 2021).
Il n’en demeure pas moins que les crypto-monnaies favorisent l’inclusion financière des personnes très éloignées la sphère financière
Ce système simplifie et popularise l’accès aux ressources financières. La détention de crypto-monnaies ne nécessite qu’un minimum de compétence digitale et aucune identification individuelle. Pour les populations marginalisées comme pour les non initiés aux arcanes monétaires, l’usage des crypto-monnaies pallie l’inégal accès au capital, aux banques et à l’autonomie financière. Par leur caractère global, ces actifs évoluent au-delà des frontières et des instabilités locales. Avec les cryptos, les détenteurs se libèrent de la dépendance à l’économie et au système bancaire du pays. Ils passent eux-mêmes leurs ordres d’achat ou de vente et contrôlent personnellement la gestion de leurs capitaux. Dans les pays où sévit l’hyperinflation, les utilisateurs de cryptos réussissent à préserver leur épargne.
L’émancipation financière avec les cryptos : un apprentissage « sur le tas »… au risque d’une dépendance
Les crypto-monnaies peuvent être considérées comme un exercice pratique d’initiation à la finance et à l’économie pour autodidactes vigilants. En suivant au quotidien les fluctuations de leurs investissements, les investisseurs acquièrent un savoir faire en finance. Ils se familiarisent avec les subtilités du marché, prennent du recul face à la gestion des risques, adoptent un langage expert et portent une analyse critique sur les variations des cours. Avec l’expérience acquise, ils sont en capacité d’évaluer les nouvelles offres et de décider de leurs placements de manière plus avisée et autonome. Ce faisant, ils cochent toutes les cases de l’empowerment individuel : gain en connaissances et en compétence, capacité à évaluer et à acquérir de nouvelles ressources, auto-efficacité, auto-détermination.
Mais là aussi, il y a risque : celui de devenir addict, de s’enchaîner à son smartphone pour suivre en permanence les variations des cotations ou pour ne pas rater une opportunité, en l’occurrence la nouvelle crypto qui devrait atteindre des sommets. Le fait de multiplier ou de diviser ses gains par 5, par 10 génère un état d’euphorie et de stress que l’on peut retrouver chez les joueurs compulsifs. De tels comportements de dépendance heurtent l’objectif premier de libération financière.
Une enquête menée en 2023 par la plus grande plateforme d’échange crypto de crypto-monnaies Binance[1] auprès de 1 172 personnes représentant diverses régions d’Asie, du Pacifique, du Moyen-Orient, d’Europe, d’Afrique et d’Amérique latine suggère que les crypto-monnaies peuvent contribuer à réduire les inégalités de revenus et les disparités financières dans la société (76% des répondants). Un tiers des utilisateurs (36%) les perçoit comme une alternative viable aux systèmes financiers traditionnels et 20% reconnaît leurs avantages au premier rang desquels, des gains d’investissement. Reste cependant que le développement des cryptos demeure contraint à cause des frais de transaction élevés (20%) et de leur lenteur (14%).
En conclusion
Avec les cryptos les non initiés sont entrés dans le monde finance. Ils ont appris à réaliser des opérations qui ne leur étaient pas accessibles jusqu’alors ou qu’ils pensaient ne pas être capables d’effectuer. En assurant personnellement la gestion de leur portefeuille d’investissement, ils réalisent leur potentiel financier en tant qu’agents actifs plutôt qu’en tant que clients de sociétés de placement. En ce sens, ils suivent un processus d’empowerment qui les amène à monter en expertise, à maîtriser de nouvelles ressources voire à développer une lecture critique du système financier et de la cotation des entreprises.
Mais l’outil émancipatoire n’est pas sans risques… Ceux inhérents à sa nature virtuelle auxquels s’ajoutent ceux qui relèvent de la nature humaine et de son penchant pour toutes sortes d’addiction dont celle du trading de crypto-monnaie ou des jeux d’argent.
Les quatre principales crypto-monnaies et leur capitalisation en avril 2024 : Des valeurs qui montent en flèche !
Bitcoin (BTC) : première crypto-monnaie (2009), la plus populaire et la plus importante au monde.
Capitalisation boursière de 1,31 B (billion soit mille milliards ) dollars américains ; le Bitcoin est conçu pour être une ressource rare bien qu’immatérielle, seules 21 millions de pièces ont été produites.
Ethereum (ETH) : (2013) deuxième type de crypto-monnaie le plus populaire
Capitalisation boursière : 396.16 milliards de dollars américains
Tether USDT appelé stablecoin (2014) parce que sa valeur est liée à la valeur d’un actif spécifique, le dollar américain.
Capitalisation boursière : 104.68 milliards de dollars américains
BNB: (2017) émise par Binance une des plus grandes bourses de crypto-monnaies du monde Capitalisation boursière : 78.7 milliards de dollars américains
Nombre de crypto-monnaies 1 300 selon l’autorité des marchés financiers [2] , en réalité il en existe des milliers et s’il créent quasiment tous les jours
Marie-Georges Fayn
Bibliographie
Atkins, E. (2022). Populist ecologies of Bitcoin. Political Geography, 94, 102535.
Corbet, S., Lucey, B., Urquhart, A., & Yarovaya, L. (2019). Cryptocurrencies as a financial asset: A systematic analysis. International Review of Financial Analysis, 62, 182-199.
Mougayar, W. (2016). The business blockchain: promise, practice, and application of the next Internet technology. John Wiley & Sons.
Wang, S., & Zhu, X. (2021). Evaluation of potential cryptocurrency development ability in terrorist financing. Policing: A Journal of Policy and Practice, 15(4), 2329-2340.
[1] https://fr.cointelegraph.com/news/binance-study-reveals-that-cryptos-are-used-as-a-tool-for-financial-empowerment
[2] Source https://www.amf-france.org/fr/quest-ce-quune-cryptomonnaie#:~:text=Les%20%C2%AB%20cryptomonnaies%20%C2%BB%2C%20plut%C3%B4t%20appel%C3%A9s,n’est%20pas%20une%20monnaie
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