Les médicaments de qualité inférieure et les contrefaçons représentent une menace croissante pour la santé mondiale : ils mettent en danger la vie des patients et minent leur confiance dans les systèmes de santé. Ce commerce illicite est extrêmement lucratif — estimé entre 65 et 200 milliards de dollars US par an[1] — et touche aussi bien les pays émergents que les pays industrialisés. Si l’ampleur du problème varie d’un nation à l’autre, aucune n’est épargnée.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) rapporte que dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, un médicament sur dix est de qualité inférieure ou contrefait[2]. Mais les pays à revenu élevé sont, eux aussi, touchés : aux États-Unis, les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont estimé qu’en 2023, environ 70% des décès par overdose impliquaient du fentanyl fabriqué illégalement[3], démontrant ainsi que les médicaments falsifiés ne sont pas l’apanage des régions les plus pauvres.
Avec la hausse des cas dans le monde entier, les patients apparaissent non seulement comme des victimes, mais également comme des acteurs clés du changement — des défenseurs proactifs de la qualité et de l’intégrité des médicaments.
Une menace mondiale pour la santé
Afrique
L’Afrique paie un lourd tribut. Une méta-analyse de 27 études a révélé que 22,6% des échantillons de médicaments analysés étaient de qualité inférieure ou falsifiés, et que 34,6% n’étaient pas enregistrés[4]. Cela se traduit par un coût humain exorbitant : jusqu’à 500 000 décès par an en Afrique subsaharienne sont liés à des médicaments de mauvaise qualité, dont 267 000 dus à des antipaludiques falsifiés et 169 000 à des antibiotiques inefficaces contre la pneumonie infantile[5].
Une enquête conjointe de The Guardian et de l’ONU a révélé que jusqu’à 20% des médicaments en Afrique sont faux ou de qualité insuffisante. Ils contiennent souvent de mauvaises doses, des substances toxiques ou aucun ingrédient actif — provoquant des décès évitables, des échecs thérapeutiques et un recul de la santé publique.
États-Unis
Aux États-Unis, la crise s’aggrave également. Des opioïdes, des stimulants et même des traitements vitaux contre le VIH sont désormais contrefaits, leur circulation étant entretenue par les ventes illicites en ligne et le trafic de drogues[6].
Contexte français
En France, la menace est moins étendue mais en progression, notamment pour les médicaments achetés en ligne. Des milliers de sites non réglementés sont accessibles aux consommateurs, adeptes de l’automédication et désireux de contourner les prescriptions médicales.
Les contrefacteurs ciblent désormais non seulement les médicaments « de confort », mais aussi des traitements destinés à des maladies graves. Selon l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), 96% des pharmacies en ligne sont illégales. Ces sites paraissent totalement légitimes et, pour tromper les consommateurs, certains utilisent même d’anciennes adresses de sites de pharmacies autorisées[7]
Des lacunes politiques inquiétantes
À cela s’ajoute la lenteur des réformes. Lors de la 78ᵉ Assemblée mondiale de la Santé, l’OMS a retardé la mise à jour du Mécanisme des États membres (MSM) destiné à lutter contre les produits médicaux falsifiés — reportant ainsi une action coordonnée à fin 2025 et au-delà.
Les racines du problème résident dans quelques facteurs clés : la limitation du nombre de fournisseurs pharmaceutiques, la difficulté d’assurer des livraisons certifiées dans les délais, l’insuffisance de contrôle qualité indépendant, la multiplication d’intermédiaires opaques dans la chaîne d’approvisionnement.
Ces vulnérabilités ouvrent la voie à l’arrivée de faux médicaments sur tous les marchés.
Conséquences sur la santé publique et la confiance
Les médicaments falsifiés ou de qualité inférieure — aux dosages incorrects ou contenant des substances nocives ou dotés d’un étiquetage volontairement trompeur — peuvent être nocifs, aggraver les maladies, favoriser la résistance aux antimicrobiens, augmenter la morbidité et la mortalité, alourdir les coûts de santé en prolongeant les maladies et en nécessitant des traitements répétés.
L’impact dépasse le préjudice individuel. Lorsque des patients souffrent ou meurent à cause de médicaments de mauvaise qualité, c’est toute une communauté qui finit par se méfier des soignants, des médicaments et les autorités. Cette crise de confiance entraîne souvent un retard dans la recherche de soins, une dépendance accrue aux marchés non réglementés et un affaiblissement des programmes de santé publique.
Les patients comme acteurs du changement
Historiquement, la lutte contre les médicaments falsifiés a été menée par les autorités de régulation, les laboratoires pharmaceutiques et les organisations internationales de santé. Mais les organisations de patients — telles que la Fight the Fakes Alliance — montrent que la voix des malades renforce l’authenticité et la portée des messages de sensibilisation et de plaidoyer.
L’action des patients commence par :
- La sensibilisation et l’éducation entre pairs
Les patients peuvent s’informer et informer leurs communautés des risques et des signaux d’alerte liés aux médicaments contrefaits. Campagnes, discussions communautaires et initiatives sur les réseaux sociaux renforcent ces messages.
Exemple : aux États-Unis, ADAP Advocacy et le Partnership for Safe Medicines ont produit des infographies, blogs et rapports destinés à aider les patients à identifier les médicaments contrefaits.

https://www.safemedicines.org/2022/11/patients-are-the-last-line-of-defense.html
2. Signalement des médicaments suspects
Les patients peuvent jouer un rôle de première ligne en signalant aux pharmaciens, aux professionnels de santé ou via des sites réglementaires tout emballage suspect, effet secondaire inhabituel ou absence d’effet thérapeutique attendu.
3. Plaidoyer
La voix des patients est une force puissante pour influencer l’action gouvernementale — en poussant à une sécurisation accrue de la chaîne d’approvisionnement, à des sanctions plus sévères et à une plus grande transparence réglementaire. Les campagnes menées par les patients jouissent souvent de davantage de crédibilité au sein des communautés que les déclarations officielles.
4. Collaboration
En rejoignant des réseaux internationaux de vigilance, les groupes de patients peuvent partager leurs expériences, coordonner leurs plaidoyers et influencer des instances mondiales comme le Mécanisme des États membres de l’OMS (MSM). Ils peuvent également soutenir la création de nouvelles institutions, telles que l’Agence africaine du médicament, dont l’objectif est d’harmoniser la réglementation et son application à travers l’Afrique.
5. Littératie numérique et accès sécurisé
Les patients peuvent apprendre à vérifier les sources officielles de médicaments, contrôler les numéros de lots et utiliser des applications d’authentification lorsque celles-ci existent — réduisant ainsi leur dépendance aux vendeurs en ligne non sécurisés.
Conclusion
Les patients ne sont pas impuissants face aux faux médicaments. Informés, impliqués et organisés, ils constituent des alliés indispensables de l’effort mondial pour protéger la qualité des médicaments et restaurer la confiance dans les systèmes de santé.
Par leur vigilance, leur éducation, leurs signalements, leurs communications et leurs collaborations, les patients participent à la protection des malades, à l’échelle locale comme mondiale — et leur contribution mérite d’être reconnue comme essentielle.
Marie-Georges Fayn
1] World Health Organizations – Atlas of african health statistics. Universal health coverage and the sustainable development goals in the WHO african region, 2018 –https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/311460/9789290234135-eng.pdf
[2] Workd Health Organization 1 in 10 medical products in developing countries is substandard or falsified – 28 November 2017 https://www.who.int/en/news-room/detail/28-11-2017-1-in-10-medical-products-in-developing-countries-is-substandard-or-falsified?utm_source=chatgpt.comhttps://www.who.int/en/news-room/detail/28-11-2017-1-in-10-medical-products-in-developing-countries-is-substandard-or-falsified?utm_source=chatgpt.com
[3] US Centers for disease control and prevention – Detection of Illegally Manufactured Fentanyls and Carfentanil in Drug Overdose Deaths — United States, 2021–2024 – 5 December 2024 https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/73/wr/mm7348a2.htm
[4] Prevalence of substandard, falsified, unlicensed and unregistered medicine and its associated factors in Africa: a systematic review – 15 Jul 2024 –PubMed
[5] The Guardian – Sun 4 Aug 2024 – Fifth of medicines in Africa may be sub-par or fake, research finds –https://www.theguardian.com/world/article/2024/aug/04/fifth-of-medicines-africa-substandard-fake-research?utm_source=chatgpt.com
[6] Thepartenership for safemedicines, January 2022 Fake HIV medication reached U.S. pharmacies—and patients – https://www.safemedicines.org/2022/01/counterfeit-hiv-medications-in-the-u-s.html
[7]– Réseau Français des Centres Régionaux de Pharmacovigilance (RFCRPV) Achat de médicaments sur Internet : quelles garanties, quels risques ? – RFCRPV https://share.google/3OKL8mVfCWWLHgcry
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