1 000 personnes rassemblées à la rando-manifestation citoyenne et pacifique du 15 octobre 2023 au col de Marcieu. ©Benoit Audigé
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En France, la récente loi sur l’engrillagement est perçue par les randonneurs comme un recul de leur liberté de parcours, comme une atteinte à un droit coutumier d’accès aux grands espaces.  Comment la communauté des usagers de la nature s’organise-t-elle pour changer un texte qu’elle considère injuste ? La démarche adoptée renvoie au processus d’empowerment. Décryptage avec Mathieu Crétet, chargé de mission espaces protégés au sein de l’association nationale de protection de la montagne Mountain Wilderness France.

Effets collatéraux de la loi

La Loi du 2 février 2023 assortie de ses décrets et arrêtés d’application du 8 avril 2024 est destinée à limiter l’engrillagement des espaces naturels détenus par des propriétaires privés[1]. Objectif : lutter contre les clôtures toute hauteur en plein campagne qui dénaturent le paysage comme en Sologne et empêchent la libre circulation de la faune entre ses différents habitats. L’obligation de démantèlement des enclos de chasse est assortie d’une contrepartie visant à satisfaire les propriétaires : le renforcement de l’interdiction de pénétrer sur leurs terres sous peine d’une contravention de quatrième classe (135€ au tarif 2024). Le législateur avait-il envisagé que cette loi profiterait surtout aux possesseurs de territoires non clos qui disposent désormais d’une arme juridique renforcée contre l’intrusion de personnes non invitées ?

Par Wilderness, on entend un environnement d’altitude, où tous ceux qui le désirent peuvent encore faire l’expérience d’une rencontre directe avec les grands espaces, et y éprouver en toute liberté la solitude, les silences, les rythmes, les dimensions, les lois naturelles et les dangers.

Extrait des thèses de Biella (1987) et socle philosophique mouvement Mountain Wilderness international

L’événement déclencheur

En septembre 2023, dans la réserve naturelle nationale des Hauts de Chartreuse, le propriétaire d’un domaine de 750 ha interdit l’accès aux randonneurs en installant des panneaux « Propriété privée – Défense d’entrer » sur des sentiers balisés. Cette décision a été vécue comme une injustice par les habitués des promenades dans ce massif dauphinois. « De plus, le maître des lieux justifiait cette exclusion en invoquant la protection de la biodiversité, protection qui n’incombe pas aux propriétaires mais aux gardes de la réserve, corrige Mathieu Crétet. Par ailleurs ce territoire a été transformé en chasse privée où les journées se négocient à un prix élevé. Nous ne sommes plus dans une chasse rurale mais dans un loisir très haut de gamme qui risque aussi porter atteinte à la biodiversité – d’où l’incompréhension d’un règlement qui s’applique de manière distincte en fonction du statut des personnes.» L’affaire a cristallisé toutes les tensions et des collectifs citoyens se sont constitués dénonçant une restriction de leur liberté d’accès aux sentiers de la réserve, fondée sur une interprétation poussée du droit à la propriété et de son usage.

Comment s’est organisée la résistance ?

Mathieu Crétet : Durant l’été 2023, les premiers panneaux font leur apparition dans la réserve. Le collectif se crée fin août et lance une pétition le 1er septembre. Par la suite, il s’associe à Mountain Wilderness pour fédérer les structures concernées (fédérations de pratiquants, syndicats, associations, …). Une rando-manifestation citoyenne et pacifique est organisée le dimanche 15 octobre 2023 au col de Marcieu. Elle réunit 1 000 personnes qui toutes réclament un accès libre à la Chartreuse. Par la suite, les membres du collectif sollicitent les élus locaux (maires, élus au PNR) afin d’essayer de débloquer la situation. Ils interpellent aussi les parlementaires.

La rando un loisir familial ©DAUTREY Loïc

Le 30 décembre 2023, une tribune paraissait dans Le Monde co-rédigée avec nos partenaires le  Syndicat National des Guides de Haute-Montagne (SNGM), le Collectif Chartreuse portée par des députés écologises Lisa Belluco et Jérémie Iordanoff (EELV),  et signée par 50 personnalités.

Nous avons aussi créé un site web https://droit-a-la-nature.org/ , nous animons un compte Instagram « droitalanature » et un groupe whatsapp et nous organisons régulièrement des visios pour coordonner nos actions.

Durant la période de forte mobilisation, la communauté a acquis des connaissances nouvelles. Des sous-groupes ont mené des recherches sur le droit de propriété, son historique et sa protection sous les différentes latitudes. Des études ont également porté sur la hiérarchisation des droits constitutionnels -dont la propriété mais pas seulement – et sur le droit d’accès à la nature qui n’existe pas en France mais a bel et bien été promulgué dans certains pays d’Europe (voir plus bas).

A partir de cette base un argumentaire a été construit qui a nourri le plaidoyer en faveur de la promulgation d’une loi d’accès à la nature. Il est question de tolérance d’accès aux espaces naturels, de vertus pédagogiques de la pratique de la nature pour comprendre l’enjeu de sa protection et favoriser la reconnexion salutaire à la nature, de santé publique. .

Ou en sommes nous en juillet 2024 ?

MC : Le projet de loi a été rejeté par la commission des lois en mars 2024. Malgré notre forte mobilisation nous sommes bien conscients que nous restons minoritaires.
Avec le collectif chartreuse nous nous sommes associés à des organisations proches (droit à la nature côte d’azur, notre village Rimbach) pour mener une action à l’échelle nationale. Nous continuons à tracter et à interpeller les élus locaux régulièrement.
Nous gardons espoir car les mentalités évoluent rapidement sous la pression d’une urgence climatique qui se fait plus prégnante que jamais.

Votre démarche vise-t-elle à remettre en question le droit à la propriété ?

MC : Non. Le droit à la propriété privée n’est pas remis en cause, mais il n’est pas non plus absolutisé. Il ne s’agit que d’un droit parmi tant d’autres, d’autant que d’autres droits comme la liberté d’aller et venir, le droit à un environnement sain et équilibré ont également une valeur constitutionnelle. Par ailleurs, il ne faut pas confondre propriété privée et domicile : il est toujours possible d’enclore son domicile privé dans un rayon de 150m soit 7 ha autour et ce terrain peut être clôturé selon les règles du PLU en vigueur. Ce que personne ne conteste. Nous militons pour stopper la confusion entre domicile privé et possession de grands espaces naturels. Ces domaines ne peuvent être assimilés aux jardins des particuliers. Ici on parle de dizaines voire de centaines d’ha qui font partie d’un paysage qui peut être considéré comme un bien commun.

Membres de Mountain Wilderness en journée d’étude à Paris (2023)

Comment sortir de l’éternelle confrontation terre privée vs usage collectif ?

MC : Nous admettons une restriction de l’accès momentané et circonscrit en fonction des usages comme la chasse par exemple ou le respect de la tranquillité de la faune. Aussi, nous pensons qu’il nécessaire de faire évoluer le droit de propriété afin d’intégrer un droit d’accès à la nature, et un droit de quiétude des animaux. Pourquoi pas en s’inspirant de pays voisins ? Ce droit est en vigueur dans les pays scandinaves, en Allemagne, en Ecosse. En Allemagne, l’article 59 de la loi fédérale sur la protection de la nature stipule que « l’accès au paysage libre sur les routes et les chemins et sur les surfaces non utilisées à des fins de loisirs » est autorisé à tout le monde. En Ecosse, le Code d’accès à la nature (Scottish Outdoor Access Code) reconnait à tous « le droit d’accès à la majeure partie des terres et des eaux intérieures du pays à des fins récréatives et éducatives et à des fins de déplacement, à condition de se comporter de façon responsable. »

En France, nous espérons qu’il sera possible de trouver un compromis, peut-être en s’accordant sur une saisonnalité. Concrètement, nous envisageons un partage des activités dans le temps et dans l’espace, pour concilier les différentes pratiques (exploitation des ressources gibier et bois tant qu’elle est légale, sport de nature et autres loisirs, respect de la quiétude de la faune).

Dans cette perspective, nous poursuivrons la réflexion avec les nouveaux élus au Parlement en créant un groupe de travail transpartisan sur ces questions. Nous sommes désormais identifiés comme des interlocuteurs avec lesquels il faut compter pour co-construire les usages de notre patrimoine paysager.

Propos recueillis par Marie-Georges Fayn


[1]   Sont concernées les clôtures installées dans les zones naturelles ou forestières délimitées par le plan local d’urbanisme (PLU). Concrètement, ce texte oblige les propriétaires qui ont clôturé leur terrain depuis moins de 30 ans (1993) à rendre leur clôture perméable au gibier en laissant un espace entre le sol et le bas de la clôture de 30 cm et en limitant la hauteur du grillage à 1m20 maximum. Concrètement cette loi sonne la fin des enclos de chasse. Les perdants sont les propriétaires et gérants de territoires avec enclos qui ont jusqu’au 1er janvier 2027 pour se mettre en conformité.

Décryptage de la stratégie collective de Mountain Wilderness France (1988)*

Objet associatif : respecter le vivant, préserver la nature et tout particulièrement des territoires de montage   3 axes prioritaires :
 – défendre les espaces naturels de montagne
– encourager les pratiques respectueuses
– amplifier la transition des territoires  
Empowerment communautaire

 
Stratégies internes visant à renforcer liens entre les membres de la communauté
10 salariés font vivre les valeurs Mountain Wilderness France, soutiennent et animent l’engagement de 419 bénévoles et  l’implication des 1 614 adhérents :
Accueil des bénévoles (entretiens de présentation de l’association, webinaire d’accueil et d’échanges)
Rencontres formelles et informelles Diffusion régulière d’informations, Valorisation des projets,
Gestion des réseaux sociaux  
Empowerment collaboratif

Stratégies internes de coordination des activités comprenant le transfert et la création de connaissances et de compétences, l’accès et la maîtrise des ressources, la conception de solutions, d’alternatives ou de mesures correctrices et de plaidoyers :
Suivi des missions des bénévoles, accompagnement des groupes locaux et des groupes thématiques (Aménagement, Espaces protégés, Installations Obsolètes, Changer d’Approche, Montagnes en Transition, Communication, participation à des enquêtes publiques, des stages…)
Organisation des soutiens logistiques, informationnels, juridiques, médiatiques, techniques…
Mise en commun d’inter-connaissances et d’expériences, centralisation et analyse des remontées du terrain,
Création de ressources, de contenus, d’argumentaires, d’expertises, de recommandations en matière juridique, d’aménagement du territoire, de politique et de gestion de la montagne …
Elaboration de programmes de transferts de connaissances et compétences,
Conception de solutions, ex : démontage d’installations obsolètes, Conception d’itinéraires sans voiture,
Création d’évènements…
Empowerment sociétalStratégies externes de sensibilisation des décideurs et de l’opinion publique aux enjeux de l’association
Organisation d’ateliers éducatifs, promotion des usages respectueux de la montagne adaptée à chaque public comme la fresque de la montagne,
Elaboration de plaidoyer, lobbying, relations presse, pétitions, manifestations, rassemblement, dépôt de plainte,
Participation aux événements extérieurs, colloques, biennales, ciné-débat, festivals, foires, rencontre, vernissage d’expos, salons, journées d’études…
Sensibilisation des influenceurs : création de la « Grande Cordée » composée d’artistes, athlètes, journalistes, philanthropes, tous ambassadeurs de l’action et des messages de l’association.
Partenariat avec les collectifs partageant les mêmes valeurs.
Gestion et recrutement de mécènes…
*Source : rapport d’activité 2003

Grande cause défendue : défense et valorisation de la spécificité, la beauté et la richesse des espaces montagnards ; œuvre pour la cohabitation entre une montagne sauvage et une montagne à vivre.
Date de création en France :  1988
Adresse :    5 place Bir Hakeim, 38000 Grenoble
Contact : contact@mountainwilderness.fr –  04 76 01 89 08
Particularités : Naissance du mouvement Mountain Wilderness International à Biella en Italie (1987). Cette organisation non gouvernementale est reconnue au niveau de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.
Missions : Contribue par son action à faire évoluer les comportements vis-à-vis de la montagne et propose des lois-cadres et des recommandations relatives à la politique et à l’aménagement de la montagne, dans le respect des hommes et de la nature
Nombre d’adhérents : Le mouvement compte 419 bénévoles et 1 614 adhérents (données 2023)

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