56- 01/12/2022 « Empowerment » ! Avez-vous noté que ce curieux anglicisme, largement repris sur les réseaux sociaux, est indifféremment utilisé pour désigner deux dynamiques contraires. Il s’applique aussi bien aux mouvements citoyens d’émancipation, de résistance et de conquête du pouvoir qu’aux gouvernances motivantes qui encadrent la prise d’autonomie et encouragent la responsabilisation des collaborateurs ou des bénéficiaires ?
Dans le premier cas, le processus part de la base. Il émane de personnes vulnérables qui refusent de subir une injustice ou bien de citoyens qui s’opposent à un statu quo. Leur élan subversif se diffuse auprès de leurs pairs, leurs engagements individuels se rejoignent en un mouvement émancipateur et libérateur. Ensemble ils surmontent les obstacles, conçoivent des alternatives et proposent des réformes.
Dans le second cas, l’initiative vient du sommet. L’opérateur cherche à motiver le collaborateur ou le bénéficiaire en lui déléguant une capacité, en lui accordant une licence en contrepartie d’une responsabilisation. Ce pouvoir se transmet de haut en bas, de ceux qui détiennent le plus d’autorité vers celui ou celle qui en possède moins et que l’on veut assimiler voire disciplinariser – mais en douceur.
Comment différencier ces approches ? D’abord analyser le contexte qui en général éclaire sur la nature émancipatoire ou délégataire de l’empowerment. On pourra aussi utilement se rapporter à la synthèse ci-dessous. Fruit de près d’une dizaine d’années de recherche, ce tableau illustre l’étonnante plasticité d’un concept qui résume à lui-seul l’éternel combat entre les forces antagonistes des pouvoirs et contre-pouvoirs. Force antagonistes et cependant complémentaires car garantes de la vitalité de la démocratie !
TOP-DOWN
BOTTOM-UP
L’approche top-down de l’empowerment caractérise la concession d’un pouvoir limité, d’une capacité ou d’une délégation encadrées voire d’une autonomie circonscrite accordé par une autorité supérieure à un individu subalterne. Cette attribution s’accompagne d’un transfert de responsabilité, soutenue par la transmission de connaissances, de compétences, d’informations opérationnelles et par l’accès à des ressources techniques et technologiques. En contrepartie, l’instance attend de la personne de meilleures performances individuelles, des prises d’initiatives et de responsabilités qui servent sa stratégie ; l’adhésion à ses objectifs et enfin l’adoption d’un comportement adapté à ses contraintes ou à ses recommandations en vue d’une plus grande assimilation. Individu-centré, l’empowerment top down est assimilé à un levier motivationnel au service d’objectifs prédéterminés.
L’approche bottom-up désigne la lutte pour l’émancipation d’un individu ou d’un groupe qui refuse sa condition d’assujettis ou de vulnérables. Cette même volonté de « ne pas subir » inspire également les mobilisations contre un statu quo ou une injustice. Les personnes s’affranchissent alors des limites ou cadres imposés. Elles créent un savoir propre et élaborent un contre-pouvoir à travers des actions de résistance, de sensibilisation, le développement de solutions innovantes et la conception de plaidoyers. Les ressorts de cette démarche libératrice sont : la conscience critique, la coopération, la création-acquisition de connaissances, la construction d’une identité et d’un projet collectifs. Ces citoyens revendiquent un plus grand contrôle sur les questions qui les concernent, la possibilité d’affirmer leurs propres choix ainsi qu’une efficacité et une justice sociale accrues. Puisant leur énergie dans la force solidaire de leur communauté, ces personnes augmentent leur pouvoir d’agir et d’influence sur la société.
COMMENT SE MESURE L’EMPOWERMENT ?
INDIVIDUEL
TOP-DOWN
BOTTOM-UP
> façonnement de la personne en fonction des enjeux de la structure Relation duale entreprise / collaborateur – institution / bénéficiaire
> résistance et opposition face à des circonstances adverses Confrontation d’un individu aux normes dominantes
L’empowerment comme levier de motivation intrinsèque Cette approche est principalement individuelle. Les critères renvoient à une grille d’auto-évaluation de la personne en fonction de son efficience opérationnelle au sein de la structure. Le pouvoir reste intériorisé, l’empowerment psychologique est orienté vers la capacité d’action dans un cadre prédéfini. Aucune référence n’est faite aux situations de domination. Le sujet est dépolitisé voire instrumentalisé.
Empowerment comme force d’affirmation de sa différence Les principaux critères reposent sur la volonté de ne pas subir une situation injuste ou menaçante et de prendre en main son destin. Ce faisant, la personne prend du recul par rapport à la société, ses normes et ses rouages ; cette réflexion débouche sur une remise en cause profonde des relations de domination et sur la recherche de solutions à la fois pragmatiques et politiques.
FORMES PRISES PAR L’ENGAGEMENT
TOP-DOWN
BOTTOM-UP
Internalisation et verticalité L’objectif est d’inciter le collaborateur ou le bénéficiaire à adopter des comportements positifs déterminés par la structure afin qu’ils apportent « leur pierre à l’édifice »… mais sans déborder sur les terrains extérieurs à leurs zones compétences et d’influence.
Externalisation et horizontalité L’engagement individuel s’extériorise. Le récit est entendu par des personnes confrontées aux mêmes difficultés. Des liens se tissent autour de l’expérience et de témoignages partagés. Un groupe se forme, espace de socialisation et de dialogue entre membres partageant les mêmes valeurs.
VISEES DE L’ENGAGEMENT
TOP-DOWN
BOTTOM-UP
La gouvernance détermine les critères d’efficience et de performance opérationnelles. Le collaborateur est invité à apprécier son impact en fonction des normes et objectifs stratégiques. Il revient à la structure de créer un environnement propice à l’accomplissement de la mission du collaborateur ou à l’implication du bénéficiaire.
L’empowerment collectif se présente comme un processus en expansion selon trois phases : 1- la construction d’un réseau autour d’une même identité (communautaire), 2- la montée en compétences débouchant sur la co-création de savoirs et de solutions (collaboratif), 3- l’investissement dans un agir sociétal (sociétal).
ROLES DE L’ORGANISATION
TOP-DOWN
BOTTOM-UP
Au sein des organisations top-down ou bottom-up, on retrouve le même souci de développer les apprentissages, d’accroître les connaissances, les compétences des équipes, de proposer des opportunités de rôles. Les différences se situent au niveau de la concertation, plus ou moins large, concernant la gouvernance et les perspectives d’avenir. Dans les logiques top-down de type entreprises, il sera question de faciliter l’implication des collaborateurs dans leur carrière et de définition de critères de performance. Ces points sont absents des approches bottom-up qui privilégient les activités pro-sociales, la cohésion, l’influence et la transformation sociétale.