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L’empowerment citoyen par le sport de rue

53- 1/09/2022 « Construire avec les jeunes des communautés encapacitantes autour du sport et de la culture urbaine pour les préparer à devenir des citoyens actifs dans une société plus juste et plus inclusive » Telle est l’ambition de GAME, l’ONG danoise qui mise sur l’empowerment des sportives et sportifs pour changer le monde.

Lancée en 2002 dans les quartiers défavorisés de Copenhague, GAME compte aujourd’hui plus de 1 000 Playmakers (animateurs-coach-organisateurs-entraîneurs – maîtres de jeux) en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe. GAME enregistr plus plus de 300 000 visites annuelles de participants amateurs ou confirmés (joueurs de soccer, de baskett, hip hop danseurs, rappeurs…) de toutes les nationalités et de toutes les communautés, 

Simon Prahm, directeur général et co-fondateur de GAME.

« Au départ, nous ne pensions pas à l’empowerment en tant que méthode de pair à pair Nous étions simplement trois fans de  baskett et de la culture hip hop, et nous voulions diffuser ces pratiques auprès des jeunes dans les quartiers défavorisés » retrace Simon Prahm, directeur général et co-fondateur de GAME. « Nous voulions être innovants. A la différence des autres opérateurs, nous n’allions pas à la rencontre des jeunes en les abordant comme on parle à des victimes. Nous, ce qui nous intéresse c’est leur potentiel et nous les aidons à le libérer par un apprentissage » L’équipe de GAME s’est rendue dans les quartiers prioritaires de Copenhague (Mjoelnerparken, Urbanplanen) à la rencontre des jeunes qui ne fréquentaient pas les clubs de sport.

« Nous avons pu constater le décalage entre l’image de violence et d’insécurité que l’on donnait de ces quartiers et la réalité. Nous avons voulu montrer leur vrai visage et nous avons commencé à organiser des ateliers sportifs. Les premiers groupes créés nous ont convaincu que nous étions dans la bonne voie. Dans ces milieux caractérisés par un manque de ressources, ces jeunes se révélaient plein de ressources. Ils ont adhéré à notre démarche construite sur les liens de pairs à pairs sur les valeurs véhiculées par le sport, l’effort, le mérite, la victoire de l’équipe comme objectif partagé, la dynamique positive insufflée par le capitaine, la volonté de se surpasser. En plus, nous savions être opérationnels avec peu de moyens car le sport de rue se pratique avec des équipements modiques voire sans équipement du tout et nous maitrisons très bien l’économie de ces aménagements – un argument à faire valoir auprès des institutions ! »

En quelques mois, démonstration était faite que GAME pouvait rendre un service social à forte valeur ajoutée à partir d’un faible investissement. Intéressé par ces initiatives, le Ministère de l’Intégration du Danemark, a commencé à soutenir GAME.

GAME donne aux jeunes les moyens d’agir en améliorant leurs compétences de vie grâce aux sports de rue. L’une des principales activités sportives de rue est le football de rue. ©GAME

Ce n’est que plus tard que le terme empowerment est entré dans le vocabulaire de GAME, lorsqu’il a fallu rechercher d’autres financements pour se développer. Les responsables ont étudié les théories de John Andersen[1] et aux définitions de la WHO[2] « Nous avions développé une nouvelle conception de l’animation sportive et musicale de rue à partir de l’implication des membres d’une communauté. C’est en analysant notre pratique que la notion d’empowerment s’est imposée. L’idée maîtresse est de confier l’animation sportive à des jeunes qui s’adressent directement à leurs camarades. Notre plus, c’est notre méthode très concrète et la diversité de nos apprentissages très peu théoriques puisque nous privilégions l’action, la mise en situation et l’expérience. Nous transmettons non seulement les bases du sport mais aussi celles du management de projet, d’animation d’équipes, de négociation avec les partenaires, d’inclusion sociale … voire même d’initiation au business avec nos Street Sports Incubator. Ainsi, les volontaires et les meneurs de jeux ont accès à un panel de compétences ».

Le sport vecteur d’empowerment

Quand il est pratiqué dans de bonnes conditions, dans un cadre respectueux des valeurs du sport, de l’intégration, d’égalité de genre, le sport offre des possibilités exceptionnelles d’apprentissage du leadership, de développement physique et mental et d’empowerment. « C’est l’encadrement entre pairs et le contenu de nos apprentissages par l’action qui font la différence. »

La « GAME Academy » : création et transmission d’un savoir propre

Le mouvement s’est doté d’une « GAME Academy » qui agrège les connaissances développées au fil des ans et des interventions. Co fondée par Erasmus+ de l’Union européenne, cette plateforme d’e-learning en accès libre rassemble +150 exercices sportifs et d’autonomisation ainsi que sept e-cours pour tous les niveaux. Les Playmakers et volontaires de GAME ont d’ailleurs ont participé à sa conception et ils complètent régulièrement sa base de données. Résultat, une offre très large de modules d’initiation et d’approfondissement adaptés tous les niveaux.

 Les thèmes recouvrent les connaissances de base sur

  • les sports de rue ou des danses,
  • leur impact positif sur la santé et le mental individuel et collectif,
  • la manière d’initier les publics de tous âges à leur pratique
  • les exercices visant à promouvoir les comportements fair-play, la gestion des conflits, l’écoute empathique …
  • la culture de rue et sa diversité ainsi que les valeurs promues par GAME

Concernant les aptitudes sociales et les compétences interrelationnelles, les formations portent sur

  • l’adaptation de la communication aux interlocuteurs, aux joueurs d’âge différents, aux partenaires locaux, aux parents, aux institutions pédagogiques…, aux supports, médias sociaux,
  • la maitrise des techniques d’animation, de gestion de groupe, d’organisation d’un tournoi, les modalités de recrutement et de fidélisation des volontaires,
  • la capacité à s’auto-évaluer en tant que coach et modèle, comprendre sa responsabilité de pair-leader et agir en conséquence (expression, comportement, attention à l’autre, respect de la diversité, de l’égalité des genres, maîtrise du stress…)

L’initiation comprend aussi à la capacité à trouver les ressources au sein de l’organisation de GAME et auprès des responsables, à bénéficier du support de son calendrier annuel. Le Playmaker doit également savoir inscrire de son action dans celle de l’ONG, du programme et de ses objectifs et échanger avec les autres Playmakers.

Sur la base de son expérience, GAME a également développé un savoir-faire sur les installations sportives de rue, innovantes, à faible coût, à faible émission de carbone et socialement inclusives. Cette compétence lui a valu de nombreux prix, dont une médaille d’or de l’IAKS du CIO pour GAME Streetmekka Viborg 2019

GAME est né d’une passion pour le basket-ball et la culture de la rue. Aujourd’hui, GAME a des activités dans dix pays. ©GAME

Les volontaires Playmakers

Auparavant les Playmakers étaient rémunérés et en 2009, GAME a décidé à ne plus le faire. « Nous voulons un autre engagement que celui qui lie le salarié et l’employeur. Le salarié fait ce pourquoi il est payé. Or nous formons des volontaires, nous les soutenons. S’ils restent c’est parce qu’ils sont motivés sinon ce serait une perte de temps pour eux. De fait, nos Playmakers sont très engagés, ils s’entraînent veulent retirer un maximum de cette expérience. D’ailleurs, nous avons un excellent taux de fidélisation alors que d’autres structures déplorent un important turn over. Les jeunes apprécient les savoirs complémentaires qu’ils acquièrent et qui leur permettent de gagner en assurance, en capacité de leadership. Attention, nous prenons en charge leurs déplacements. Ils peuvent aussi gagner de l’argent en assurant différentes missions lors des rencontres sportives que nous organisations comme l’accueil, la billetterie (18€ de l’h). Enfin, ils peuvent aussi poursuivre une carrière au sein de GAME et devenir manager salarié… »

Une enquête de 2019 auprès des volontaires de GAME montre que 93 % d’entre eux ont appris des choses utiles dans d’autres domaines de la vie, 81 % ont accru leur motivation à participer à des activités de volontariat ou à s’impliquer en faveur de leur communauté et 87 % ont appris à connaître des personnes d’un autre milieu que le leur.

Les femmes aussi

GAME a mis longtemps à savoir comment attirer les femmes et nous avons appris qu’il fallait pour cela nous appuyer sur des instructrices. « Nous avons aussi constaté que les motivations des femmes sont moins la victoire que d’avoir du fun ou apprendre de nouveaux savoirs, ou encore se socialiser… Nous voulons des femmes leaders, des femmes présentes au Parlement et nous encourageons cet engagement citoyen très tôt en leur permettant de prendre des responsabilités au sein de leur communauté. A ce titre notre travail sur le terrain est essentiel et nous sommes fiers aujourd’hui d’avoir près de la moitié de nos Paymakers féminins contre 25% en 2017 ! »

Décryptage

Selfpower-community, sité dédié à l’empowerment collectif citoyen, privilégie les initiatives émancipatrices bottom-up, issues du terrain. Or les dynamiques encapacitantes porteuses de progrès social sont aussi insufflées par des d’institutions ou des organisations à vocation sociale. Dans cette configuration, l’empowerment est considéré comme un levier intégré à des programmes d’éducation ou de développement qui encouragent l’autonomie et le gain en compétences individuelles mais dans un cadre imposé. En général ce cadre exclut les activités socio-politiques telles que les analyses critiques d’une culture, d’une économie, d’une gouvernance ou d’un système de croyances qui génèrent la stigmatisation ou pénalisent une communauté dans son ensemble.

L’ONG GAME occupe une place à part dans ce schéma d’abord parce qu’elle permet la rencontre des deux dynamiques top down et bottom up autour de ses missions. En effet, elle mobilise les apprentissages et organise leur transmission afin que les jeunes issus des communautés fragilisées déploient des activités en lien avec le sport et la culture urbaine sous la houlette de Playmakers issus de leurs rangs et préparés à la gestion de projets. Ces leaders-pairs assurent une position de médiation, à la fois coachs, entraineurs, animateurs, éducateurs. A la différence du modèle princeps frérien[3], ces accompagnateurs ne sont pas des professionnels. Ce sont des volontaires qui ont répondu à l’invitation de GAME par un engagement individuel dans une action collective entre jeunes. Leur autonomie et leur liberté d’initiative sont des marqueurs forts. Les Playmakers restent maîtres d’œuvre de leurs projets d’animation de sport de rue, contribuent à la co-conception des apprentissages et veillent à la bonne circulation des informations. A l’issue de cette expérience, les Playmakers ont acquis ou renforcé leurs talents sportifs et leurs aptitudes de gestionnaires de projets (empowerment individuel). Ils sont aussi devenus « empowérants » pour le groupe. Ils savent mobiliser les énergies autour d’un projet, développer un leadership local et un sens de la communauté, faciliter la cohésion, la socialisation, la coopération entre générations, genres et ethnies. Ils sont en mesure de développer le sentiment d’appartenance, (empowerment communautaire). Ils ont appris à surmonter les blocages, d’être inventif et constructif, d’atteindre des objectifs communs, de nouer une relation équitable avec des agents extérieurs (empowerment collaboratif). Enfin, ceux qui le souhaitent, sont accompagnés dans la mise en place d’une activité rentable par des formations en commerce et par l’octroi de bourses (GAME incubateurs). L’apprentissage par l’action de GAME leur aura permis de se révéler, de mettre en pratique leurs nouveaux acquis dans leur quotidien et de savoir créer des opportunités sociales et économiques. Ils atteignent ainsi un niveau plus élevé de maîtrise de leur destin et d’expertise en dynamique de groupe.

Les week-ends d’entraînement (connus sous le nom de Playmaker Camps) sontl’occasion de créer des liens étroits entre Playmakers. Ces rapprochements se prolongent dans le cadre de travaux menés en sous-groupes thématiques sur des sujets tels que l’égalité des sexes, le développement durable la suppression des barrières), les tournois à grande échelle comme la finale de GAMEGAME à Beyrouth…

GAME inscrit son action dans une certaine vision du progrès humain

GAME ne se positionne pas sur le terrain du changement politique. L’ONG n’interroge pas les causes profondes à l’origine des friches urbaines ou de la relégation de populations dans des territoires de seconde zone. GAME intervient en amont pour limiter, à sa façon, la casse sociale et donner envie aux jeunes de s’engager positivement pour leur communauté. Pour ce faire, GAME reçoit des financements publics. Pour autant GAME reste totalement indépendante, sans lien de sous-traitance avec les institutions.

En effet, avec ses Playmakers, GAME conçoit ses propres parcours empowérants individuels et collectifs, ses propres formations actives et ses propres équipements. GAME occupe donc une place à part entre les dynamiques top-down et bottom up.

Par ses multiples réalisations, GAME montre qu’à partir d’interstices laissés libres entre deux blocs d’immeubles, qu’il est possible d’imaginer de nouveaux espaces d’autonomie et d’expression. Ces reconquêtes spatiales servent de scènes au talent et à la créativité des jeunes qui déploient leur potentiel au travers d’activités stimulantes pour le corps, pour l’esprit. Leurs réalisations s’avèrent aussi bénéfiques au bien-être des habitants du quartier, de la communauté dans son ensemble.

GAME agit pour accroître les compétences des jeunes des quartiers difficiles, pour qu’ils prennent confiance en eux et qu’à l’avenir, ils poussent plus loin l’expérience, relèvent d’autres challenges, se réapproprient d’autres espaces y compris politiques…

Marie-Georges Fayn

Version anglaise https://selfpower-community.com/street-sports-for-citizen-empowerment/

Grande cause promue : créer un changement positif dans la vie des jeunes défavorisés par le pouvoir du sport collectif et de la culture de rue
2002 : création de GAME par Martin Schultz, George Goldsmith et Simon Prahm 
10 pays accueillent des programmes
1 211 volontaires actifs formés au modèle d’empowerment de GAME
79 zones GAME où se pratique des activités sportives de rue toutes les semaines
4 installations de sports de rue comptant 15 413 membres actifs gérées par GAME
268 109 participants à ses activités de STREET SPORTS dans le monde entier.
80 : nombre de personnes salariés en équivalent temps plein
4,6 M€ de budget (2021) dont 55% financés par l’Union Européenne, les ministères et municipalités

Particularité
 : Le capital social de GAME constitué par la plateforme GAME Academy et par les connaissances des GAME Houses, des installations innovantes sportives de rue à faible coût, à faible émission de carbone et socialement inclusives. Cette vision a inspiré de nombres réalisations primées dont une médaille d’or de l’IAKS du CIO pour GAME Streetmekka Viborg 2019
Grande ambition : plus de reconnaissance dans la capacité des jeunes à transformer le monde notamment en abaissant le droit de vote à 16 ans
GAME est classée 122ème sur la liste des 200 meilleures ONG du monde en termes d’innovation, de durabilité et de résultats.

Adresse : https://GAME.ngo/
Enghavevej 82D
2450 Copenhagen SV
Danemark
+45 7020 8323

https://www.instagram.com/weloveasphalt/
https://www.facebook.com/GAMEInternational.ngo/
https://twitter.com/game_intl
https://www.youtube.com/user/GAM3GAM3

Contact  : GAME@GAME.ngo

Données 2020


[1] Andersen, J., & Pløger, J. (2007). The dualism of urban governance in Denmark. European Planning Studies15(10), 1349-1367.

[2] L’empowerment des communautés : processus permettant aux communautés d’accroître leur contrôle sur leur vie. https://www.who.int/teams/health-promotion/enhanced-wellbeing/seventh-global-conference/community-empowerment

[3] Freire, P. (2020). Pedagogy of the oppressed. In Toward a Sociology of Education (pp. 374-386). Routledge. First Published in 1978