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Pas de prise de pouvoir sans organisation collective

62- 02/05/2023 Comment les associations et les coopératives réussissent-elles à transformer les fragilités, les convictions ou les colères individuelles en une énergie collective positive ? Cet article présente quelques-uns des laboratoires de la citoyenneté et s’intéresse tout particulièrement à leur originalité organisationnelle.

Les organisations dites alternatives sont présentes dans tous les secteurs. Elles se distinguent par leurs capacités à renforcer l’autonomie et le pouvoir d’agir de leurs membres, à encourager une gouvernance démocratique, à susciter des initiatives collaboratives et à inspirer des transformations sociétales. Leur existence prouve que la lucrativité n’est pas la seule motivation des équipes, que les lois du marché ne sont pas universelles et que la maximisation du profit n’est pas une fin en soi.

Eveilleuses de conscience, elles nous invitent à sortir d’une vision instrumentale et utilitariste des ressources humaines et à construire un autre rapport aux autres, au travail et au monde.

Organisations alternatives, de quoi parle-t-on ?

Créées en vue de pallier une carence, une injustice, de répondre à un besoin social non satisfait, de soutenir des populations désavantagées ou encore de défendre de grandes causes, les associations et coopératives réussissent à améliorer le quotidien des hommes et des femmes en misant sur l’intelligence collective, l’entraide et la diversité. A leur actif, des initiatives qui anticipent les mutations du monde voire même parviennent à le changer…

La « Rochdale Equitable Pioneers Society » est la première entreprise coopérative. Elle a été fondée en 1844 par des tisserands du Nord de l’Angleterre, trop pauvres pour pouvoir acheter les produits de première nécessité. Ils ont alors pris l’initiative de se regrouper en coopérative afin de négocier de meilleurs tarifs et de prendre le pouvoir sur les distributeurs. Ce faisant ils ont inventé un nouveau modèle de consommation, gagné en confiance dans leur capacité à maîtriser un marché et à gérer un établissement selon leurs principes et valeurs, en reconnaissant à chaque client le droit de s’exprimer en tant que sociétaire intéressé par le développement de l’entreprise.

En 1983, le prix Nobel de la paix était décerné à la Grameen Bank et à son fondateur, Muhammad Yunus (Bangladesh), pour leur travail de pionnier de la microfinance et leur impact positif sur la réduction de la pauvreté. Cette reconnaissance a contribué à faire connaître le système coopératif et sa capacité à promouvoir à la fois le développement économique et l’équité sociale.

Féd. internationale Croix-Rouge Croissant-Rouge

Côté association, on peut citer la Croix Rouge et le Croissant Rouge, plus important regroupement d’organisations humanitaires au monde. Le mouvement fondé en 1863 par Henry Dunant (Suisse) avait pour vocation première de porter un secours neutre, impartial et permanent aux soldats blessés. Le mouvement a ensuite étendu ses interventions aux besoins humanitaires des personnes (civiles et militaires) touchées par un conflit armé ou par une catastrophe naturelle. Présente dans 192 pays dont la France où la Croix Rouge se définit comme un acteur de premier plan en matière d’urgence et du secourisme, auxiliaire des pouvoirs publics.

Concernant la défense de l’environnement, on retient l’emblématique Greenpeace, organisation internationale fondée en 1971 qui rassemble des citoyens engagés dans la construction d’un monde durable. L’ONG alerte sur le changement climatique, lutte contre la déforestation, la pollution et l’énergie nucléaire. Elle est connue pour ses actions directes, manifestations et désobéissances civiles non violentes, visant à sensibiliser l’opinion publique et à provoquer des changements politiques. Greenpeace est une structure décentralisée qui opère dans plus de 50 pays et promeut la durabilité environnementale et la justice sociale par des moyens pacifiques.

Subversifs et non violents

Ces exemples emblématiques sont l’œuvre d’individus et de collectifs citoyens déterminés à rompre avec les normes et limites imposées dans la société actuelle. Chacun à sa manière explore les terrains de l’innovation sociale, sanitaire, économique et démocratique. Un récent ouvrage* livre un panorama d’organisations alternatives françaises de tailles plus modestes d’où sont extraits les deux exemples ci-dessous, l’un en santé mentale et l’autre en expertise comptable.

A l’origine de la Trame, plateforme d’inclusion citoyenne et de santé mentale communautaire basée en Seine-Saint-Denis (93), un Groupe d’Entraide Mutuelle qui a fait siennes les valeurs de la pair-aidance et du partage d’expérience. La Trame reconnaît la légitimité des savoirs expérientiels des personnes tant sur leur pathologie que sur l’usage des services de santé mentale. Dans cette logique, elle rémunère certains usagers pour des missions spécifiques telles que les permanences ou les interventions en congrès. Elle encourage également la participation active des habitants dans la création de projets locaux visant à renforcer les liens sociaux entre les membres d’une même communauté.

Autre exemple pris cette fois dans le domaine de la comptabilité. Dans ce secteur hautement réglementé et traditionnellement soumis au capitalisme, FINACOOP fait figure de mouton noir. C’est la première société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) d’expertise comptable, juridique et financière dédiée à l’économie sociale et solidaire**. Elle se démarque par un modèle de fonctionnement basé sur la coopération et la solidarité entre collaborateurs et clients et partenaires. Les décisions sont prises de manière collective et les bénéfices redistribués équitablement et en toute transparence. La société est également engagée dans la finance éthique. Conciliant rentabilité financière et utilité sociale, elle propose un accompagnement juridique et financier (business-plan, stratégie et recherche de financement solidaire) dans toutes les phases de la vie des organisations. 

La raison d’être de ces organisations : une singularité partagée devenue le marqueur de leur identité collective. Plateformes d’expression et de projection sur l’avenir, elles offrent un terreau fertile aux alternatives organisationnelles.

« Sans savoirs, le citoyen n’a pas de capacité d’agir, sans organisation de l’action collective, il n’a pas de moyen d’exercer son pouvoir. » (Béji-Bécheur et als. 2021)*

Qu’apprendre de la gouvernance des associations ou des sociétés coopératives ?

Moins hiérarchiques, moins bureaucratiques, plus orientées sur les besoins humains et environnementaux que les entreprises capitalistes (Parker, Fournier, Reedy, 2007)***, ces groupements, non lucratifs ou à lucrativité limitée, ne visent ni la profitabilité ni l’accumulation de richesses ni la rémunération du capital mais la réalisation de leurs missions, avec une double ambition, d’être socialement utile et de pouvoir couvrir leurs dépenses, si possible indépendamment de tout pouvoir..

Leur existence dépend de l’engagement et de l’expertise de leurs équipes aussi portent-elles une attention tout particulière aux dynamiques internes d’empowerment : déploiement de liens de solidarité entre les membres, respect des convictions et de la diversité, élaboration d’un projet partagé, réponses aux besoins, apprentissages de nouvelles compétences et reconnaissance des capacités à travers des opportunités de rôles.

L’auto-organisation, le vote, les décisions par consentement caractérisent les organisations alternatives

Fondées sur les principes de démocratie participatives, ces organisations insistent sur l’importance pour chacun de pouvoir prendre la parole, qu’il s’agisse d’élaborer des règles de fonctionnement, de participer aux décisions, de s’accorder sur les instances de contrôle et sur leur modalité de fonctionnement. En organisant des consultations régulières et des débats qui aiguisent le sens critique sans éviter les tensions, elles apprennent à gérer les contradictions, à pratiquer la négociation pour trouver des terrains d’entente. 

Mais inciter à la participation va à l’encontre des schémas habituels du modèle capitaliste. Une acculturation est nécessaire de même qu’un enseignement des méthodes d’animation, de concertation et de co-conception. Cette émulation collective passe également par des expérimentations en sous-groupes et par l’élaboration de cadres précisant les droits et responsabilités des participants. Il est aussi recommandé de rendre ces temps forts désirables par la richesse de leurs contenus et par leur dimension chaleureuse et conviviale.

Côté contributeurs, il faut prendre en compte les multiples obstacles qui empêchent une participation pleine et entière comme le sentiment d’illégitimité ou de manque de maîtrise des savoirs mais aussi plus prosaïquement le manque de temps et les difficultés de mobilité.

 « Seule une véritable stratégie de la participation, partagée, organisée, matérialisée par différents supports, médias, formations et à laquelle sont allouées des ressources financières suffisantes est à même de susciter ce désir et de contribuer à la transformation des modes de production/consommation. À cet égard, les pouvoirs publics jouent un rôle structurant au travers des dispositifs mis en œuvre, que ce soit à un niveau coercitif, incitatif ou discursif. » (Béji-Bécheur et al. 2021)

Développement en réseau des organisations alternatives ©Harryarts on Freepik

A forme d’organisation particulière, mode de croissance particulier           
Une organisation alternative ne peut pas augmenter sa taille en suivant une croissance interne classique au risque de perdre son identité et de se transformer en une entreprise conventionnelle. Pour éviter cet écueil elle pourra se développer en réseaux, s’associer à d’autres organisations ou se modéliser via la création de nouvelles entités.

Mais ce modèle reste fragile ; la concurrence lui est délétère de même que la course au gigantisme, aux projets et aux financements. (Béji-Bécheur et al. 2021)

Marie-Georges Fayn

* Béji-Bécheur, A., Vidaillet, B., & Hildwein, F. (2021). Organisons l’alternative!: Pratiques de gestion pour une transition écologique et sociale. Éditions EMS.

** Réinventer l’expertise comptable, Mathieu Castaings, expert-comptable fondateur de FINACOOP

***Parker, M. F., & Reedy, V. (2007). P. The dictionary of alternatives.

Sur le même sujet : le disempowerment Le disempowerment… – Selfpower community (selfpower-community.com)