Les Iraniennes, la vie, la liberté
59- 27/02/2023 En ce début d’année 2023, l’actualité de l’empowerment est toujours dominée par la lutte des femmes iraniennes contre la discrimination et la violence de l’Etat iranien. Pour comprendre ce mouvement de protestation et ses racines profondes, selfpower community s’est rapprochée de Massoumeh Raouf. Journaliste engagée et auteure exilée en France, elle livre sa vision de la lutte contre l’oppression.
La mort de Mahsa Amini (22 ans) en septembre 2022, suite à son arrestation à Téhéran par la police des mœurs pour le port inadapté de son Hijab est le point de départ et le symbole d’une rébellion populaire « Femme, vie, liberté » contre le régime de la République Islamique d’Iran. Six mois après les premières manifestations comment évolue ce mouvement ?
Au cours des six derniers mois, le monde a assisté à un vaste soulèvement populaire emmené par les femmes en Iran, réclamant la liberté et la démocratie. Le régime a tenté d’étouffer le mouvement en usant de la plus grande violence. Quelque 750 manifestants ont été tués dont au moins 70 enfants et jeunes mineurs et 4 jeunes de 20-22 ans ont été exécutés et beaucoup d’autres sont condamnés à mort. Il y a eu plus de 30 000 arrestations et les prisons sont bondées. Malgré ces répressions, le peuple iranien maintient ses revendications. Il veut renverser ce régime et il marque son opposition à toute forme de dictature en Iran à travers son slogan national “Mort à l’oppresseur, qu’il soit Shah ou Mollahs”.
Après six mois d’une infatigable et incessante bataille, la détermination du peuple est plus forte, son moral est plein de résistance et de persévérance. Les femmes sont en première ligne de cette révolution. Elles font acte de résistance dans les prisons et à la sortie des geôles leurs témoignages sont diffusés sur les réseaux sociaux faute d’accès à des médias libres – en Iran tous les médias sont entre les mains du régime, et lorsqu’un journaliste ose publier des informations critiques, il est arrêté, emprisonné et torturé. Du coup, les opposants rusent.
Les « unités de résistance » de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI) opèrent secrètement. Elles mènent des actions de protestations populaires comme la destruction des symboles du régime. Lors de ces rassemblements, les militants crient des slogans hostiles « Mort au Khamenie, guide suprême du régime », ils les taguent sur les murs, ils les impriment sur des tracts. Les informations sur les brutalités du régime sont relayées sur internet…. Le courage de ces unités, essentiellement composées de jeunes iraniens, filles et garçons, éblouit les yeux du monde entier et donne des cauchemars au régime.
La peur a changé de camp ! Les gens ne craignent plus le régime, ils ne veulent plus se soumettre à ses règles, ils veulent le renverser pour établir un Iran libre et démocratique.
Ce mouvement défend-il uniquement la liberté de la femme ou est-il aussi social, global ?
Cette révolution démocratique prend racine dans l’histoire contemporaine de l’Iran dans les 44 années de lutte contre l’intégrisme sous le nom de l’islam et pour laquelle plus de 120 000 héros de la liberté dont mon petit frère[1] ont sacrifié leur vie.
Durant les années 80 appelées années de sang, 30 000 prisonniers politiques ont été massacrés en quelques mois (1988) sur l’ordre de Khamenei. En 2009, une nouvelle révolte populaire contre les élections truquées a été réprimée, elle aussi dans le sang. Depuis le soulèvement de 2017 contre la corruption et la dégradation de la situation économique du pays suite les sanctions internationales, plusieurs grands scandales[2] ont fait naître une colère sociale explosive contre le régime. Je citerai le massacre d’au moins 1 500 manifestants contre la vie chère en novembre 2019. Les mensonges du régime et son incompétence durant la pandémie de coronavirus. Quand Khamenei a interdit la vaccination et que sa décision a entraîné la mort de 550 000 personnes dont celle de mon grand frère Mahmoud.
Pour en revenir au rôle des femmes, déjà en 1988, parmi les Iraniennes arrêtées, une écrasante majorité appartenaient à l’organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI). Musulmanes et démocrates, elles étaient viscéralement opposées à l’intégrisme islamiste et à toutes les contraintes imposées aux femmes. Depuis, les Iraniennes considèrent qu’il est de leur devoir de renverser cette tyrannie. C’est pour cela qu’on les retrouve en première ligne de la résistance. Elles sont aussi majoritaire au sein du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), parlement iranien en exil [3]. Et c’est une femme Maryam Radjavi qui est à sa tête.
Pour prévenir toute tentative de ralliement au CNRI ou de protestation, le guide suprême gouverne par la terreur. Il a placé Ebrahim Raïssi, le bourreau du massacre des 30 000 prisonniers politiques de 1988, à la présidence du régime en juin 2021.
Les problèmes sont aussi économiques. Au cours de la dernière décennie, la croissance iranienne a été nulle, le taux d’investissement est négatif et le rial, la monnaie nationale ne cesse de perdre de la valeur. Durant les cinq dernières années, la population pauvre du pays a triplé. Jusqu’à 80% vivent sous le seuil de pauvreté. L’inflation est endémique, l’augmentation des prix des produits de première nécessité dépasse les 100%. Le chômage fait des ravages. La corruption systématique gangrène le pays. La discrimination à l’égard des femmes, des minorités ethniques et religieuses s’intensifie de jour en jour.
Selon vous la dimension mondiale de ce soulèvement, peut-elle faire plier le gouvernement ?
Les dimensions mondiales de ce mouvement ont fait hésiter un peu les pays occidentaux dans la politique d’apaisement envers le régime. Malheureusement, leurs positions et actions restent très timides. Face à ce gouvernement avide de pouvoir qui ne respecte aucune loi, il faut faire preuve de détermination. La pression des pays occidentaux et la rupture des relations avec le régime peuvent conduire à son affaiblissement et à son renversement. Poursuivre les échanges avec le régime, c’est lui apporter une respiration artificielle pour qu’il continue ses abus.
Avez-vous le sentiment que ce mouvement prolonge et donne de l’ampleur à votre engagement personnel ?
Je me bats pour le renversement de ce régime et un Iran libre et démocratique depuis des années. Je veux que tous les criminels qui ont tué des milliers de jeunes iraniens, y compris mon frère et mes meilleurs amis et camarades, soient jugés et punis. Je crois que nous n’en savons toujours pas assez sur l’ampleur des crimes de ce régime. Des aveux parfois publiés par certains dirigeants du régime me glacent le sang.
Vous avez souffert de la répression du régime 1981. Condamnée à 20 ans de prison, vous avez au bout de 8 mois eu le courage de fuir de prison. Une fois en France avez témoigné des exactions des mollahs. Avez-vous le sentiment d’avoir fait vôtre la définition de l’empowerment individuel* ?
Je pense que oui. Car malgré tous les obstacles, problèmes et souffrances que j’ai endurés, j’ai poursuivi mon combat contre ce régime oppressif et barbare. Un exemple de l’empowerment individuel pour moi est d’écrire et publier mes livres en français. Le français n’est pas ma langue maternelle. Je l’ai appris en exil. Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je pourrais écrire un livre en français et devenir membre de la célèbre association d’écrivains français, la société des gens de lettres (SGDL).
Pour mieux comprendre ces événements récents, je raconte l’Iran à travers mon histoire et mon vécu. Mais ces récits ne sont qu’une petite partie de la souffrance d’un peuple enchaîné qui lutte toujours pour sa liberté. À vrai dire, pour moi, écrire n’était pas simplement faire une œuvre littéraire. Cela faisait partie de ma lutte pour la justice et pour attirer l’attention du public sur la terrible situation de mon pays.
J’ai été arrêtée en septembre 1981 dans la rue. Ils me soupçonnaient d’être sympathisante des Moudjahidines du peuple d’Iran. À l’époque, ce simple soupçon suffisait pour que l’on soit arrêté, torturé et exécuté. Ces criminels ne connaissaient pas de limites. Khomeini le guide suprême du régime leur avait donné carte blanche. Mon soi-disant “procès” n’a duré que dix minutes et le tout a été bouclé en un rien de temps par un seul mollah, appelé “juge de la charia”. Sans aucun droit à la défense, j’ai été condamnée à 20 ans de prison. J’avais 20 ans. Mais au bout de 8 mois à l’aide de mes compagnons de cellules, j’ai réussi à m’échapper. Quand les pasdarans ont réalisé mon évasion, toutes les filles de la cellule ont été torturées et transférées dans diverses prisons. Beaucoup d’entre elles ont été exécutées dans le massacre de 1988 ; je leurs rends hommage dans mon livre. Le régime s’est aussi vengé sur ma famille : ma mère qui avait un cancer a été arrêtée et faute de soin, elle est décédée peu après de sa libération.
Les épreuves que j’ai traversées auraient pu me détruire. J’ai réussi à les surmonter parce que je ne suis pas seule, parce que j’appartiens au mouvement de la résistance iranienne. Aujourd’hui, je suis plus déterminée que jamais à lutter pour un Iran libre et démocratique.
En affirmant votre parole et en la diffusant largement, avez-vous le sentiment d’être devenue une leader ?
Je fais ce qui est en mon pouvoir, pour la grande cause des Moudjahidines du peuple d’Iran. Je me reconnais en tant que militante. Pendant des années j’ai travaillé en tant que journaliste, en équipe et je crois au pouvoir collectif. Je ne me vois pas comme un leader, c’est une position culturelle. En tant que femmes de la résistance iranienne, nous possédons une leader charismatique, Maryam Radjavi, c’est notre symbole national de la résistance, c’est à elle d’être sur le devant de la scène, notre place est à ses côtés dans la sororité.
En tant qu’Iranienne en France, comment vivez-vous le débat sur le voile et le burkini dans notre pays ?
Je préfère n’est pas entrer dans ce débat. Ce qui compte, c’est avant tout l’humanité. Avant d’être des femmes, les femmes sont des êtres humains, à l’égal des hommes. Pourquoi les vêtements pour hommes ne sont pas controversés alors que quand il s’agit de femmes, tout le monde veut imposer son opinion ?
Comment la France, comment chacune et chacun d’entre nous peuvent soutenir la lutte pour les droits des femmes en Iran ?
Ce que nous – les Iraniennes et Iraniens – attendons de la France et du monde libre :
• Convaincre leurs gouvernements de couper leurs relations avec les mollahs. Les mollahs profitent plus que jamais de la passivité de l’Europe.
• L’Europe doit annoncer qu’elle reconnaît la lutte du peuple iranien pour un changement du régime.
• Les pays européens doivent fermer les ambassades du régime, qui sont des centres d’espionnage et de terrorisme des mollahs ; afin de montrer leur soutien au peuple iranien.
• Une autre action déterminante, qui relève de la responsabilité de l’Union européenne en général et de la France en particulier, est d’inscrire les Gardiens de la Révolution du régime sur la liste des entités terroristes. Le corps des pasdarans est la force la plus loyale et le principal pilier de la survie du régime.
Dans un pays démocratique comme la France, chacun d’entre vous a le pouvoir de soutenir le peuple iranien, d’organiser des conférences, d’y participer, de soutenir et de transmettre les revendications de la résistance iranienne auprès des responsables politiques, des journalistes et des influenceurs.
[1] Mon frère cadet Ahmad avait 16 ans à l’époque. Il a été arrêté avant ma fuite mais a quand même a été accusé de complicité dans mon évasion et a de nouveau a été interrogé et torturé. Il a été exécuté en 1988 avec 30,000 autres prisonniers Moudjahidine du peuple d’Iran sur l’ordre et la fatwa de Khomeiny. Pour rendre hommage à mon frère Ahmad, j’ai publié en 2018 la bande-dessinée « Un petit prince au pays des mollahs».
[2] Avion ukrainien abattu par un missile iranien, une erreur que le gouvernement iranien a mis trois jours à reconnaître au grand dam de la population.
[3] Selon le programme du CNRI, après le renversement de ce régime, un gouvernement provisoire prendra en charge l’administration des affaires et durera au maximum six mois. Au cours de cette période, des élections libres conduiront à élire une l’Assemblée constituante et législative qui s’attèlera à la rédaction de la Constitution de la nouvelle république.
*au sens de reprise de contrôle sur son existence et ses choix de vie
NDLR Les visuels d’action de rue ont été extraits de vidéos en ligne sur les réseaux sociaux, les autres visuels ont été transmis par ©Massoumeh Raouf