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Le Paris de l’Entertainment, un pari en soi ! #2

02/12/2021Deuxième volet de mon rapport d’étonnement et de mon retour d’expérience

1- Les plateformes de e-billets : le diktat de la vente en ligne

Désormais, la vente des places se fait dans l’immédiateté et en ligne depuis l’arrivée des plateformes de e-commerce en 2008. Billet Réduc applique les techniques d’optimisation du remplissage (le « yield management » du mot yield qui vent dire rendement) à la vente de billets en combinant deux variables : le prix et le taux de réservation. Concrètement, le prix d’une place n’est pas déterminé par le prix de revient du spectacle et la marge souhaitée, mais en fonction de la demande, du prix que le public est prêt à payer et du nombre de places encore à vendre. Avec ce système, les plateformes ont tiré les tarifs des spectacles vers le bas.

Valérie Rousselot, Directrice associée de Theatreonline/L’Officiel des spectacles en pondère l’impact « L’incidence des plateformes sur la baisse des prix reste cependant mineure, limitée à 3% pour un prix moyen de billet vendu de 28 € ». Un constat à nuancer car le calcul du prix moyen d’une place de théâtre cache de très fortes disparités entre les grosses productions présentées dans des lieux pretigieux et celles diffusées dans les petits théâtres privés. Sur Billet Réduc par exemple, les premières places de THESE ET ANTITHESE se sont vendues à – 40% : un prix qui a augmenté avec le nombre de réservations.

L’erreur à éviter en cas de préparation d’un budget de spectacle consiste à multiplier le nombre de places de théâtre par le prix d’une place sans tenir compte des réductions. Or, certaines peuvent aller jusqu’à – 80%. Les places incluses dans les coffrets culture sont parfois à – 50% ce qui ramène la place de théâtre à un tarif inférieur à celle de cinéma ! Sur les plateformes, la promotion n’est plus un produit d’appel mais une accroche systématique !
D’où l’importance de bien cadrer en amont sa stratégie de prix.
Essentiel aussi de penser son plan de salle – pour remplir un « fond de salle » certains acceptent qu’un petit nombre de places soient délivrées gratuitement sur les plateformes…

A ce régime, s’adapter revient à proposer des spectacles à l’économie minimale comme le stand up, sans décor avec un seul comédien également auteur. Cette pression tarifaire explique en partie la diminution des créations originales au profit des reprises de spectacles déjà produits.

2- Le public : en baisse

Aller au théâtre ne va pas de soi : la perspective de s’extraire de son canapé, de renoncer à Netflix, de braver la pluie, le froid ou la chaleur, de prendre les transports en commun, de présenter son pass  sanitaire et de garder son masque pendant 90 minutes peut rebuter les meilleures volontés. Une vérité pour les adultes et les séniors, mais plus encore pour les jeunes peu habitués au spectacle vivant à moins d’y être contraints par quelque professeur militant pour voir un classique, plus rarement pour les productions contemporaines.  Il y a certainement des marges de progrès de ce côté-là ! Le théâtre conserve par ailleurs une image élitiste et vieillotte. « Les grands théâtres sont impressionnants, les spectateurs ne comprennent pas bien où ils seront placés, la corbeille, l’orchestre sont autant de barrières psychologiques. En comparaison, le One Man Show est moins intimidant. L’activité de l’artiste est déjà bien identifiée sur les réseaux sociaux où il interagit avec sa communauté. Un humoriste qui possède de nombreux abonnés sur YouTube ou Instagram remplira d’autant mieux la salle » constate Valérie Rousselot. Ces stand up attirent beaucoup de talents, d’où la pléthore d’offres, pas moins de 62 propositions rien que pour le samedi 4 décembre 2021. Exister devient une gageure pour les nouveaux arrivés, les inconnus qui se retrouvent en concurrence avec des têtes d’affiche. 

3- Sous médiatisation du théâtre : le désert médiatique

Pas de promotion sans relations presse ! Or la rubrique culture des médias a fondu comme peau de chagrin à l’image de l’espace réservé aux sujets culturels dans les JT : 3 000 sujets en 2010 contre 1 200 en 2020. « La pandémie n’est pas seule en cause, puisqu’en 2018 et 2019, culture et loisirs pesaient déjà moins de 7 % » commentent Dominique Fackler et Véronique Lefort de l’INA.  Rares sont donc les informations qui traitent de culture, plus rares encore du théâtre dont l’actualité arrive après le cinéma et la musique[1]. « Il n’y a pas de grande émission télé qui traite du théâtre, ceci étant lié au fait que le théâtre est très géolocalisé » déplore Valérie Rousselot

Cette réalité télévisuelle s’applique également à la presse écrite et audio. Aussi est-il très difficile d’entrer en contact avec un journaliste culturel, souvent pigiste, et encore plus difficile de l’intéresser au théâtre. Pourtant la presse reste encore un vecteur à fort impact pour promouvoir une pièce et le meilleur moyen de sortir de l’entre soi des réseaux sociaux.
Mais la presse écrite est elle-même en crise avec un lectorat qui a fondu comme neige au soleil, à quelques exceptions près comme Le Monde ou le Figaro.

A défaut de commentaires et de comptes rendus rédigés par des journalistes, il faut accepter de tenir sa propre chronique sur sa page Facebook, Twitter, Linkedin, Instagram, YouTube. Tisser des liens avec sa communauté requiert engagement et régularité, prévoir chaque jour, une heure pour alimenter les réseaux sociaux, répondre aux messages…

En l’absence de couverture presse, il reste le bouche à oreille à travers des avis du public, devenus déterminants y compris sur les plateformes. Mais cela aussi prend du temps…

Ces réalités j’aurais aimé les connaître avant de me lancer dans l’aventure de la production de la pièce THESE ET ANTITHESE.

Quelques conseils

Contrat avec le théâtre

– Bien lire le contrat passé avec le théâtre et en particulier les paragraphes qui concernent la mise à disposition de matériels techniques et autres …

– Le producteur qui confie au théâtre la mission de caisse et de vente pour son compte et, au nom du théâtre, les billets de son spectacle, doit bien comprendre le fonctionnement des plateformes et leur mode de promotion plus proche de la braderie. A lui de déterminer en toute connaissance de cause s’il accepte, ou pas, un système qui risque d’obérer gravement l’équilibre budgétaire de son spectacle.

– Dans le cas d’un accord sur le « partage sur recettes » vérifier le montant des frais de garde ou de billetterie perçus par le théâtre sur chacun des billets. Le taux de promotion accepté par le théâtre est-il reporté sur ce montant ?

– Se mettre d’accord avec le théâtre sur l’éventualité peu réjouissante d’une absence ou d’un très faible nombre de spectateurs : représentation maintenue ou annulée ? Auquel cas la location sera certainement due, vérifier s’il est possible alors d’utiliser le créneau pour une répétition : ce qui étonnement n’est pas toujours le cas.

Réserver les dates de représentation de manière stratégique

– Échelonner ses représentations et les planifier en tenant compte des congés liés aux vacances scolaires à intégrer dans une communication auprès des publics de province de passage à Paris

– Jouer plus longtemps permet de travailler sa communication, son public, ses techniques de promotion. Il faut entre 3 et 4 mois pour développer une fréquentation.

La publicité sur les plateformes de réservation accompagne et soutient les ventes plus qu’elle ne lance les spectacles. Elle maintient le spectacle à l’esprit avec un bon taux de conversion.

« Même si on n’en vit pas bien, il y a toujours un dynamisme créatif, des gens pour se retrouver et monter des spectacles. Il est admirable de lancer de nouvelles productions avec comédiens, décors, costumes, car cela est tout de même devenu très risqué » reconnaît Valérie Rousselot

Marie-Georges Fayn

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[1] https://larevuedesmedias.ina.fr/jt-sujets-culture-loisirs-2020-covid-coronavirus-cinema-musique