Le Off : entre création foisonnante et économie en tension

91- 01/08/2025 En 59 ans d’existence, le Festival Off d’Avignon s’est imposé comme l’un des plus grands rendez-vous internationaux du spectacle vivant et de l’expérimentation artistique. En 2025, plus de 1 700 spectacles, dont 500 créations investissent 140 lieux attirant plus d’un million cinq cent mille spectateurs. Durant trois semaines, la cité des papes se transforme en une agora culturelle à ciel ouvert. Mais derrière cette joyeuse effervescence, des lignes de fracture apparaissent. Faiblesse de la diffusion, précarité des artistes, baisse des financements, standardisation des formats… « Le Off, miroir inversé de la création théâtrale » selon l’expression de Harold David, co-président d’Avignon Festival, interroge notre capacité collective à préserver un espace de création libre, critique et transformateur.

Harold DAVID, Coprésident d’Avignon Festival & Compagnies

Unique au monde, le Festival Off d’Avignon réalise une saison théâtrale exceptionnelle tant au niveau de la création que de la fréquentation. Pourquoi un tel engouement ?
Parce qu’à Avignon l’atmosphère est inimitable : Le théâtre envahit la rue, s’invite dans les conversations, s’installe aux terrasses des cafés, s’expose sur les murs. Une ambiance festive enveloppe la ville lorsque le mistral s’amuse à faire danser les milliers d’affiches colorées accrochées aux grilles des palais. Amoureux des arts vivants, comédiens en quête de public, auteurs, scénographes, programmateurs à l’affût de nouveaux talents, défricheurs de formes : dans les ruelles médiévales de la cité des papes, tout un monde se croise, échange, se reconnaît. Ils se hâtent d’une scène à l’autre, souvent arrêtés dans leur élan par les tirades enflammées des artistes venus à leur rencontre, flyers en main pour défendre leur travail avec l’éloquence de tribun et la fougue de jeunes premiers.

Durant vingt-et-un jours hors du temps, la ville se métamorphose en une immense agora vibrionnante, avec pour fond sonore le chant de cigales, et pour décor, les remparts crénelés et les clochers séculaires aux couleurs du soleil. Mais derrière cette effervescence, des fragilités apparaissent. La création connaît une baisse de 30%, et la diffusion reste largement insuffisante : un spectacle, même plébiscité, n’est en moyenne repris que cinq fois, loin des 10 à 15 dates nécessaires pour équilibrer les coûts. Et le succès public ne garantit rien. Une standing ovation ne compense pas les charges fixes : location de salle, hébergement, salaires. Le Off est un pari risqué pour les petites compagnies, voire un gouffre financier.

Les amateurs de théâtre sillonnent Avignon, d’une scène à l’autre. Parmi eux, il existe une catégorie à part, les marathoniens du spectacle vivant qui réussissent l’exploit d’assister à 6 représentations par jour. Respect ! ©MGF

« Le OFF est un miroir inversé du théâtre: un écosystème bouillonnant mais sous tension extrême» constate Harold David.

L’afflux du public traduit bien la passion populaire française pour la création, mais aussi sa frustration. Celle de devoir venir à Avignon pour voir des spectacles qui ne tourneront pas ailleurs, faute de diffuseur, de directeurs de théâtre audacieux mais aussi faute de marché suffisamment porteur…

Avignon révèle le besoin vital des compagnies de trouver des débouchés, parfois une quête désespérée de visibilité dans un secteur devenu structurellement défaillant.

Le secteur souffre aussi de la baisse des financements publics, des incertitudes politiques avec à la clé une précarisation des artistes, une auto-censure qui ne porte pas son nom – pour ne pas déplaire aux diffuseurs qui eux-mêmes doivent éviter de faire trop de vagues des sujets touchys sont éludés comme les questions de genre, de minorités sexuelles…. Et difficile d’avoir recours au mécénat, ce ne peut être qu’un complément, une ressource marginale.

Plus insidieuses encore, les conséquences sur notre conscience critique. Si le théâtre ne trouve plus les moyens matériels de transmettre des récits complexes sur les enjeux du monde contemporain, comment réussir à formuler des visions alternatives ? « Je redoute une uniformisation des imaginaires, une standardisation des formats. Les contraintes économiques imposent des calibrages de plus en plus serrés : 1h10, 3 acteurs maximum, peu ou pas de décor. Cela n’empêche pas la richesse du contenu, mais limite l’ambition plastique et dramaturgique. Le risque, c’est de voir le théâtre devenir un objet compressé, formaté pour survivre. » L’appauvrissement des moyens menace la vitalité critique. Il faut en avoir conscience même si, grâce à son open access, le Off reste un lieu d’une grande diversité où fleurissent les récits engagés, le théâtre documentaire ou participatif.

Le public, sensible aux récits ancrés dans le réel, plébiscite ces formes interactives. Il est prêt à s’impliquer, à interagir. Cela révèle une faim de sens, une envie d’être acteurs du monde plutôt que simples spectateurs. Le théâtre, estun lieu de transformation lente, profonde, essentielle. Pour que perdure cette vision du théâtre, peut-être faut-il inventer de nouvelles formes d’engagement du public : via des co-productions citoyennes, des temps d’échange, des formes de démocratie culturelle, des modèles plus impliquants qui interrogent la verticalité classique du rapport scène/salle.

Plateformisation : une chance ou un risque

La plateformisation du Off – au sens de mise en relation, d’organisation, de visibilité renforcées – améliore les conditions de rencontres et de coopérations entre les différents publics. En ce sens, elle répond à un besoin de regroupement d’un secteur composées d’entités trop longtemps disséminées. « Mais attention à ne pas reproduire les logiques des plateformes numériques : classement, visibilité algorithmique, standardisation, compétition accrue entre artistes. Le risque serait de transformer l’espace de création en vitrine de vente, de réduire le théâtre à des formats “présentables” et immédiatement exploitables. » Le Off, s’il veut rester un territoire d’empowerment collectif, doit défendre un autre modèle : un espace de friction, de circulation ouverte, de constitution de réseaux, d’opportunités de rencontres et de projets où la logique de relation l’emporte sur celle de rentabilité. C’est dans cette tension – entre structuration et liberté – que se joue l’avenir du Festival.

Une scène mondiale, un test pour demain

Le Off tisse aussi des liens à l’international, avec des festivals amis comme Édimbourg (Écosse) ou Adélaïde (Australie) pour répondre au besoin universel d’échanges et de rapprochement autour de la création.

Marie-Georges Fayn

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2025 : un excellent cru pour le Festival Off d’Avignon, une locomotive à 22M€ de chiffre d’affairesChiffres clés et étude de marché

Selon les premières estimations d’AF&C, le Festival Off d’Avignon apporterait au territoire une manne évaluée entre 19,4 à 22M€ via 1,6 million de billets vendus entre le 5 et le 26 juillet 2025 (aux mêmes dates que le festival In).
27 000 levers de rideau,
1 405 compagnies, dont 163 étrangères dans 139 théâtres,
taux de remplissage moyen d’environ entre 50 et 60% selon les salles
78% des spectacles ne bénéficient pas de subventions publiques dans le Of
Les 22% qui reçoivent des subventions sont financés par 64% de la Ville, à 51% du Département, à 49% de la Région, de la Drac –Direction régionale des affaires culturelles- à 45% et de la Métropole à 11% du lieu géographique sollicité.
Les équipes présentes lors du festival : auteurs, artistes et techniciens sont majoritairement des hommes
Le coût moyen du logement par compagnie est de 3 598€ et la durée idéale du festival, pour eux, serait de 18 jours travaillés hors relâche.

Accréditation
Près de 2 242 professionnels accrédités dont 1 689 font partis des professionnels du spectacle vivant (75%) et 567 professionnels sont issus de la presse (25%). Leurs profils ? 85% d’entre-eux sont français : 23% en provenance d’Ile-de-France, 19% d’Auvergne Rhône-Alpes, 13% d’Occitanie et 9% de la Région Sud. S

Les professionnels accrédités étrangers sont majoritairement francophones comme les belges à 24%, les suisses à 11% et les canadiens à 8%. Les accrédités sont issus à 51% d’associations, 25% de régies directes, à 12% de collectivités et fondations et à 6% de délégations de services publics… Près de 66% des accrédités sont issus de structures subventionnées.

Presse
Les professionnels presse accrédités exercent majoritairement pour des sites internet et des blogs à 51%, pour la presse écrite à 30%, pour la radio à 12% et pour la télé à 7%. Le festival off fait état de 2 345 retombées presse dont 92% de critiques et 8% d’articles généraux consacrés au festival off. Près de 19 articles ont évoqué l’international, avec, notamment la mise à l’honneur du Brésil en tant qu’invité d’honneur, ainsi que de l’Ukraine, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan. L’ouverture du Village Tadamm consacré aux familles et aux enfants a fait l’objet de 17 articles.

Thématiques recherchées
Les thématiques et styles de spectacles les plus recherchés sont : Les relations à l’amour à 49% ; Le vivre ensemble et l’inclusion à 46% et les relations familiales à 49%. Les trois styles les plus recherchés sont le théâtre, la musique et l’humour et les trois thématiques les plus recherchées : le vivre ensemble et l’inclusion, la diversité et les relations familiales.

Thème 2026 pour les 60 ans du Off “La culture comme outil de rassemblement autour de la réflexion pour construire un monde meilleur.”

Source : communiqué du festival publié le 25/07/2025 dans L’ECHO DU MARDI https://www.echodumardi.com/actualite/pre-bilan-du-festival-off-davignon-un-locomotive-a-22me-de-chiffre-daffaires/