Le jardin et le monde
27- 09/02/2021 – Pour cette nouvelle déclinaison de l’empowerment citoyen, Selfpower-Community arpente les allées des jardins partagés. Friches de quelques mètres carrés coincées entre deux immeubles, vastes jachères urbaines transformées en no man’s land ou extensions de parcs en zone semi rurale… toute terre est susceptible d’être un jour transformée en potager partagé. Ces parcelles, embellies et collectivisées par des groupes de jardiniers amateurs, sont un terreau fertile aux apprentissages du bien vivre alimentaire et à la gestion des ressources naturelles. Espaces de convivialité, les jardins collectifs adoucissent le paysage urbain et rythment la vie des quartiers. Considérés comme de formidables vecteurs d’engagement civique, ils font le lien entre le besoin individuel de connexion à la nature, l’action communautaire et l’inscription dans des politiques publiques. Plus largement encore, ces jardins apportent des réponses locales aux grandes questions de société que sont l’impasse de l’individualisme, les défis environnementaux, les questions de souveraineté alimentaire, de gestion des déchets, d’optimisation des ressources en eau ou encore de lutte contre la pollution…
Le plus souvent urbains, ces potagers sont le fruit d’un partenariat entre des collectivités, des associations et des groupements citoyens. Leurs formes, leurs conventions de création et leur durée varient en fonction des contextes mais dans tous les cas, les signataires doivent respecter l’interdiction qui leur est faite « de tout usage commercial des productions réalisées ». Défense donc de vendre les récoltes ! Au départ, l’objectif est de contribuer à l’autosubsistance alimentaire de populations aux ressources modestes et de répondre localement au besoin de nourriture saine. Mais les plantations recèlent bien d’autres vertus comme celles de renforcer les liens sociaux de proximité au moyen d’activités agricoles, culturelles ou éducatives. [1]–[2]
Carrés de verdure de 1m² ou terrains de plusieurs hectares, les jardins partagés caractérisent sous le même vocable, de jeunes pousses spontanées ou des projets savamment greffés dans le cadre de politique de développement durable. Dans tous les cas leur existence et leur expansion dépendent à la fois de la mobilisation de citoyens convaincus et de l’intervention de la puissance publique. Leurs origines remontent aux jardins familiaux de la fin du XIXème siècle dont le statut a été officialisé par la loi du 31 octobre 1941. Devenus communautaires sous l’impulsion de la militante Liz Christy dans les années 1997[3], ces « objets urbains complexes » mobilisent le recours croissant à une expertise paysagère et de la médiation sociale. »[4]
Pour défricher le sujet, deux interlocutrices ont été rencontrées : Anaïs Marquet de l’association « Partageons les jardins » et Corinne Magagnin de l’association « les jardins de l’Eyrard »
“Un besoin de s’extraire du béton”
« Le premier confinement a accru le besoin de se rapprocher, de retrouver le contact avec la nature. Les gens aspirent de plus en plus à s’extraire du béton. Ils veulent apprendre à jardiner. Rien que dans l’agglomération Toulousaine, plus de cents jardins sont répertoriés et leur nombre ne cesse d’augmenter. En ce qui nous concerne, nous accompagnons d’habitude 5 à 6 projets par an. Le cru 2021 est exceptionnel avec 20 projets soutenus et l’embauche de 3 personnes ! . » se réjouit Anaïs Marquet, chargée d’administration et d’animation Education à l’environnement et au développement durable (EEDD) au sein de « Partageons les jardins ». Centre de ressources, tout à la fois observatoire et réseau, cette association intervient en appui des mairies, des promoteurs, des bailleurs sociaux et des groupements de citoyens.
Gérés et animés par les habitants-usagers, les jardins partagés sont porteurs de valeurs d’ouverture et d’écologie « le jardin partagé est un lieu de rencontres pour les habitants du quartier et c’est aussi un monde miniature qui aide à comprendre les conséquences de nos agissements sur la biodiversité et sur le cycle de vie des plantes. »
La recette d’un jardin partagé : détermination des porteurs du projet et soutien municipal
Corinne Magagnin, membre de l’association « les jardins de l’Eyrard » Noyarey (38)
« Avoir un jardin partagé ! C’est un projet qui me tenait à cœur. De son côté, la commune envisageait la création d’un tel espace. Un jour la mairie a passé une annonce dans le journal municipal et a organisé la première réunion en 2016. C’est ainsi qu’est né le jardin partagé de Noyarey (38). » se souvient Corinne Magagnin, membre de l’association des « les jardins de l’Eyrard » Noyarey (38) et nucérétaine depuis 1985
Ces maraîchers en herbe voulaient jardiner ensemble bien sûr mais aussi apprendre à mieux cultiver les plantes et surtout se retrouver autour d’une activité porteuse de sens, de lien social et de complicité intergénérationnelle. « On voulait échanger nos fruits et nos légumes, avoir les mains dans la terre et trouver aussi une bonne raison de discuter du temps avec des personnes que nous avions l’habitude de croiser sur la commune mais que nous ne connaissions pas vraiment ! »
Corinne Magagnin : On croyait que c’était facile ! Et bien, pas vraiment. L’installation nous a pris deux ans. Il a fallu trouver le bon emplacement. La commune nous a octroyé un terrain de 800m² sur une réserve foncière et accordé une subvention de 5 000€ pour la construction d’une cabane et l’achat d’outils. Ensuite, nous avons dû planifier les travaux, clôturer, préparer la terre, diviser le terrain en 19 parcelles de 25m2, les attribuer à 12 adhérents et aux écoles, creuser des pieux dans les nappes phréatiques, installer deux pompes et dans le même temps, gérer l’administratif, les déclarations à la préfecture, les assemblées générales, voter et faire rentrer les cotisations (40€ par adhérent et par an). Sur les 12 adhérents du départ, deux nous ont quittés car ils ne pensaient qu’un jardin allait demander autant de travail. Ils ont été très vite remplacés car les demandes sont plus nombreuses que les parcelles à attribuer. Nous avons une liste d’attente .”
Le jardin partagé : un lieu de partages et de transmissions
C. M. : Désormais nous sommes bien organisés. De sympathiques amateurs nous sommes devenus de toujours sympathiques jardiniers chevronnés, éclairés par les enseignements dispensés par d’autres associations. Ainsi Brin de grelinette est venu nous initier au compost et à l’entretien du terrain. On apprend à connaître et à travailler la terre sans l’épuiser, en la respectant. Nous économisons l’eau en mettant du foin au pied des plantations, nous savons utiliser les lombrics à notre avantage. Dans notre jardin, il n’y pas de produit chimique, on cultive des aliments sains et on prépare des paniers avec nos légumes est une occupation savoureuse. Quant aux rencontres, elles sont nombreuses et variées. Et puis, il se passe toujours quelque chose dans un jardin. Nous avons constitué des groupes de travail . Tous ensemble on se retrouve une fois tous les deux mois pour mettre en place des actions notamment auprès des écoles car les enfants doivent connaître le cycle de la nature, planter une graine, l’arroser, entretenir la pousse, récolter, déguster avec les amis ou en famille, donner si on en a trop et éviter à tout prix le gaspillage ! S’épanouir collectivement en symbiose avec un jardin partagé, c’est un bonheur partagé.
Nom de l’association : les jardins de l’Eyrard
Date de création : 2017
Adresse : 75 Rue du Maupas 38360 Noyarey
Nombre de membres de l’association : 12
Nombre de jardins partagés en France
Difficile de donner un chiffre précis, on estime que les jardins familiaux représentent au début des années 90 de 100.000 à 200.000 unités et couvraient une surface totale de 2.500 à 5.000 hectares[5].
Quant aux jardins partagés aucun recensement n’a été fait ; certains étant gérés par des collectifs sans statut, ils ne sont donc pas déclarés
Le jardin partagé, vecteur d’empowerment à plus d’un titre
Fruit d’une dynamique d’habitants autonomes, en capacité de s’organiser pour cultiver un terrain, le jardin partagé témoigne d’une prise de conscience individuelle et collective des enjeux liés à l’exploitation de la terre. Lorsque l’initiative part d’une municipalité, le jardin partagé se présente souvent comme la version écologique du centre socio-culturel.
En s’investissant dans ces projets, les citoyens renforcent leur place dans leur territoire. “La collaboration au sein des jardins partagés génère une double valorisation, celle du collectif qui défend des valeurs au travers d’initiatives et celle du citoyen qui se mobilise au sein de son espace de vie. Le processus de concertation lié à la démocratie participative en vigueur dans l’association développe un sentiment de proximité et d’attachement au territoire qui favorise en retour l’émergence, et la consolidation, du citoyen-acteur.”[6]
Le tandem, municipalité / citoyens-jardiniers, peut être soutenu par un animateur-coach[7] . A terme, grâce au transfert de connaissances et compétences en jardinage, en production de fruits et légumes et en gouvernance d’équipes, le groupe de jardiniers volontaires s’émancipe et poursuiy seul le développement de ses activités.
Mais cette coopération -entre autorité publique ou privée, accompagnateurs et citoyens-, reste complexe. En effet, la grande affaire du jardin partagé, réside dans la prise de possession d’une terre. « Le foncier, c’est d’abord une bataille ; une terre appartient toujours à quelqu’un et pouvoir se l’approprier, ce n’est pas rien. » insiste Anaïs Marquet. Autrefois la prise de la parcelle se faisait par activisme d’où le terme de green guerillas (guérillas vertes)3 . Aujourd’hui, la reconquête de la terre est plus consensuelle. Les atouts des jardins collectifs sont vantés par la puissance publique et c’est par convention entre parties prenantes qu’un jardin partagé voit désormais le jour. Il n’en demeure pas moins que la réappropriation de l’espace public questionne la notion de propriété, le droit de planter et de cultiver, l’accès aux ressources.
Le jardin partagé ouvre de nouvelles perspectives autour du “bien public” et de la valeur sociale de ces “interstices verts” situés en lisère du bâti et des infrastructures de circulation. Il pointe aussi les limites de l’habitat densifié des villes et témoignent d’une volonté citoyenne de reprise de contrôle sur l’espace de vie et sa gouvernance[8]. Vastes sujets portés par les fédérations qui dialoguent avec les autres structures et négocient avec le pouvoir.
Sensible à leurs arguments et soucieux de satisfaire une demande de plus en plus forte, le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation a décidé que les quartiers concernés par le Nouveau programme national de renouvellement urbain[9] recevront des crédits pour « développer une agriculture au bénéfice d’une population particulièrement impactée par la crise sanitaire[10]. Cette mesure a vocation à multiplier par cinq ces jardins sur le territoire en particulier en zone péri-urbaine et urbaine »[11] (ne disposant pas de données chiffrées au départ, il sera difficile d’évaluer si le nombre des jardins aura bien été multiplié par cinq à la fin du programme- NDLR). Les sommes seront affectées au financement des dépenses d’investissement afin d’étendre ce type de surface et d’amélioration des structures existantes par l’installation de nouveaux matériels.
Enraciné dans l’histoire urbaine et industrielle de la France, le jardin partagé voit ses missions évoluer avec les besoins de la société. A ce titre il est étonnant de constater l’extraordinaire capacité d’une parcelle à se régénérer et à régénérer ceux qui l’embellissent ; comme si l’attachement à la terre avait le pouvoir de suppléer les médiations perdues, de ressouder un groupe autour d’un micro-projet de société voire de nous sauver tous de nos propres excès pour s’ériger en nouveau modèle de conscience au monde.
Marie-Georges Fayn
[1] https://www.transition-europe.eu/fr/bonnepratique/les-jardins-partages-moteurs-de-la-cohesion-sociale
[2] http://jardins-partages.org/
[3] Le premier jardin communautaire a éclos en 1973 à Manhattan sous l’impulsion Liz Christie, fondatrice du mouvement Green Guerilla qui revendiquait la transformation d’un lotissement abandonné de Manhattan en jardin collectif. En France, le premier jardin communautaire s’est implanté à Lille en 1997, le second à Paris en 2002.
[4] Vandenbroucke, P., Canavese, M., Dacheux‑Auzière, B., Grenet, M., Mouhot, L., Berthier, N., … & Consalès, J. N. (2017). Derrière l’utopie du jardin collectif, la complexité d’un projet social, technique et politique. Géographie et cultures, (103), 19-37.
[5] https://www.senat.fr/rap/l02-376/l02-376_mono.html
[6] Thouvenin, A. (2010). Les jardins partagés, une expérience collective ?
[7] Le rôle de ces accompagnateurs rappelle celui des éducateurs tels que définis par Freire (1970), le père du concept d’empowerment
[8] Green guerillas, illegal gardens, and city activist gardeners : between land reclaim, promoting local scale, and cultures of resistance, Céline BARRERE https://www.unil.ch/files/live/sites/igu-urban/files/shared/Barrere_presentation.pdf dernière consultation 30/01/2021
[9] Le NPNRU concerne 216 quartiers d’intérêt national et 264 quartiers d’intérêt régional (parmi les 1514 QPV identifiés), regroupant deux millions d’habitants en métropole et outre-mer. Les besoins des habitants des quartiers sont pris en compte en les associant à la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des projets de renouvellement urbain, ainsi que par la mise en place d’une maison du projet, lieu de concertation entre citoyens, associations et élus locaux.
[10] Une partie de ces fonds sera versée par l’Agence nationale de renouvellement urbain
[11] https://agriculture.gouv.fr/demultiplier-les-jardins-partages-et-developper-lagriculture-urbaine